L’IVG à l’écran : notre top
Tous les mois, la rédaction de Sorociné vous partage ses coups de cœur thématiques. En mars, en écho à la journée internationale des droits des femmes, Louise Bertin, Mariana Agier, Diane Lestage, Margaux Baralon, Lisa Durand, Enora Abry, Victoria Faby et Öykü Sofuoglu vous partagent leur sélection de films et de séries qui représentent finement la thématique de l’avortement.
Une affaire de femmes, Claude Chabrol, 1988
Inspiré d’une histoire vraie, Une affaire de femmes est l’histoire de Marie Latour (Isabelle Huppert), faiseuse d’ange sous l’Occupation, mais aussi d’une époque où règnent pauvreté et ordre moral. Après avoir aidé une amie à avorter, la jeune femme voit dans cette pratique illégale l’occasion de sortir de la misère. Elle se met à rêver d’une vie plus grande et plus belle, loin de la grisaille normande et de son mari qu’elle ne supporte plus. Dix ans après Violette Nozière, Chabrol et Huppert construisent à nouveau un personnage féminin complexe et énigmatique, sans pathos ni jugement. L’actrice livre une performance extraordinaire, entourée entre autres par les géniales Marie Trintignant et Dominique Blanc. Ensemble, elles peignent le portrait nuancé et percutant de la condition féminine, et disent notamment le dégoût de son propre corps face aux grossesses répétées et non désirées. Lors de son procès, la coupable aux yeux de l’État collaborationniste prononce cette phrase, implacable et déchirante, à l’image du film : « Je vous salue Marie, pleine de merde, le fruit de vos entrailles est pourri. ». L.B.
The Knick, Steven Soderbergh, 2014-2015
Lors de sa plongée dans l’univers de la médecine new-yorkaise du début du XIXe siècle, Steven Soderbergh n’oublie pas d’en explorer les bas-fonds, à savoir les pratiques illégales. Un des personnages principaux de cette série chorale de deux saisons est Harriet (interprétée par la formidable Cara Seymour), nonne froide le jour et « faiseuse d’anges » la nuit. Aidée par un homme qui n’en a qu’après les profits qu’il pourrait en tirer, Harriet poursuit sa mission quitte à en subir les conséquences. « Ces femmes en ont besoin, c’est tout ce qu’il faut savoir », martèle-t-elle, montrant avec simplicité que son activité n’est pas en désaccord avec sa morale chrétienne. D’un même mouvement, The Knick préfère pointer du doigt les faux vertueux, grâce à des personnages qui s’offusquent de ses pratiques mais qui n’hésitent pas à venir toquer à sa porte pour solliciter ses services... E.A.
Sex Education, saison 1, ép.3, 2019
Figure de proue des représentations inclusives dans les productions pour ados, Sex Education, souvent (trop) scolaire, frappait pourtant fort dès sa première saison avec une scène d’avortement devenue un des moments les plus poignants de la série. Lorsque la jeune Maeve tombe accidentellement enceinte, elle se rend en clinique d’avortement et y fait la connaissance d’une mère haute en couleurs. De l’anesthésie aux recommandations suivant l’opération, sur fond mélancolique de la musique des Smiths, cette séquence d’avortement donne une représentation plutôt fouillée et hors de tout misérabilisme, suffisamment rare pour être signalée. Et elle se clôt sur un dialogue pro-choix entre les deux personnages, bref, mais toujours essentiel. M.A.
Obvious Child, Gillian Robespierre, 2014
Donna Stern (impeccable Jenny Slate), vingtenaire new-yorkaise, libraire le jour et comique de stand-up à l’humour grinçant la nuit, vient de se faire fraîchement larguée par son mec après un set humoristique trop moqueur et trop intime au goût du monsieur. Un soir, elle rencontre Max (Jake Lacy, abonné aux rôles de boy-next-door), couche avec lui et tombe accidentellement enceinte. Pas prête à devenir mère du jour au lendemain : entre son mode de vie chaotique, sa rupture récente, son licenciement, sa relation avec ses parents aimants divorcés et son début d’histoire avec Max. Pour Donna, c’est l’évidence, elle choisit l’avortement. Premier long-métrage prometteur de la réalisatrice Gillian Robespierre, Obvious Child aborde le sujet sensible de l’IVG avec humour, sentimentalité et maturité. Ce portrait honnête d’une jeune femme maîtresse de ses choix et de son corps est le moyen pour la cinéaste de dé-stigmatiser l’avortement et de pallier un manque de représentation cinématographique non traumatisante et non-doloriste de cet acte, surtout dans le genre codifié et parfois trop balisé de la comédie américaine. L.D
Y’a qu’à pas baiser, Carole Roussopoulos, 1971
Si l’on vous disait qu’une réalisatrice avait filmé un avortement en 1971 alors même que cette intervention était illégale et passible de condamnations – le croiriez-vous ? C’est ce qu’a fait l’audacieuse Carole Roussopoulos dans son court métrage militant Y’a qu’à pas baiser. Piquant, cynique et sulfureux, la plus grande qualité du film reste encore son humour décalé. La réalisatrice met en scène des comiques de situation par un montage disruptif alternant extraits de publicités, scènes d’avortement, et images de manifestations féministes. Parce qu’il vaut mieux en rire qu’en pleurer, nous voilà donc amusés de voir des manifestantes joyeuses et libérées face aux visages renfermés de passants agacés. Plus que de se moquer, Carole Roussopoulos subvertit. Elle remet en perspective des images qu’on supposait antinomiques. C’est le cas de ces enfants assis sur une voiture de manif’ qui crient aux droits reproductifs. Cinquante ans plus tard, ces images sont toujours aussi politiques. Finalement, le titre du film révèle à lui seul l’absurdité des arguments anti-IVG, à commencer par ceux qui se disent pro-vie mais qui tuent des femmes en leur interdisant des avortements sains et sereins. V.F.
Levante, Lillah Halla, 2023
Présenté à la Semaine de la critique en 2023 au festival de Cannes, Levante, le premier film de la réalisatrice brésilienne Lillah Halla est une ode au pro-choix ! Le film raconte l’histoire de Sofia, une joueuse de volley-ball de 17 ans qui joue dans une équipe féminine et inclusive qui apprend le même jour qu’elle est enceinte et qu’elle est sélectionnée pour passer professionnelle. L’avortement étant encore interdit au Brésil, la jeune fille se retrouve obligée de trouver une solution pour avorter clandestinement et rapidement prise au piège, confrontée aux conservateurs, des catholiques fondamentalistes. L’héroïne se fait la parfaite victime du patriarcat, et d’une chasse aux sorcières, transformant progressivement le film en thriller anxiogène. Film de toutes les luttes, de collectif et de diversité, Levante montre des personnages combatifs et joyeux portant haut la révolte contre l’oppresseur. D.L.
L’Événement, Audrey Diwan, 2021
En adaptant le roman éponyme d’Annie Ernaux, qui raconte l’avortement de l’autrice en 1963, alors qu’elle n’était qu’étudiante et que la loi Veil n’était pas encore votée, Audrey Diwan aurait pu succomber à la tentation de l’emphase et de l’affèterie. Il n’en est rien avec ce film à l’os, aussi âpre et faussement simple que son titre. Tout entier centré autour du parcours de la combattante d’Anne, la protagoniste, qui ne rencontre que peu de soutien autour d’elle dans son entreprise, le long-métrage est percutant sans être voyeuriste, édifiant dans sa reconstitution d’une époque étouffante. Et la séquence de l’avortement à proprement parler est un modèle de mise en scène discrète. Abandonnant un instant le visage de son actrice (excellente Anamaria Vartolomei), Audrey Diwan ne traduit alors la douleur et la dureté de l’acte qu’en esquissant le tremblement de ses cuisses qui encadrent la faiseuse d’ange. M.B.
Never rarely sometimes always, Eliza Hittman, 2020
Les films dits d'avortement, où ce dernier est traité comme le déclencheur du récit, jouent souvent sur l'effet de choc et soulignent la violence physique et mentale que les femmes subissent lorsqu'elles risquent d'être privées de ce droit. D'une histoire à laquelle nous sommes habitué·es, certes - une jeune ado qui veut se faire avorter sans que ses parents le sachent—Never Rarely Sometimes Always d'Eliza Hittman se distingue néanmoins par la sensibilité et la compassion de son regard. Nous suivons le trajet d'Autumn et de sa cousine Skylar, qui l'accompagne à New York, car l'État de Pennsylvanie exige le consentement des parents pour les mineures. Hittman ne transforme pas l'avortement en « événement », mais cherche à l'inscrire dans les existences quotidiennes, ordinaires et familières de ces jeunes ; elle n'instrumentalise pas ses personnages féminins pour s'efforcer de faire passer un message. Elle leur laisse le temps de vivre, d'être ensemble et de se soutenir. Un rythme propre à la réalité des femmes, qui accueille volontairement les temps morts sans chercher à atteindre la temporalité d'un compte à rebours digne des thrillers hollywoodiens. Ö.S.