L’AFFAIRE NEVENKA - Icíar Bollaín
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Démonstration d’une emprise
En racontant l’histoire vraie de Nevenka Fernández, qui porta plainte à la fin des années 1990 pour harcèlement sexuel contre le maire de Ponferrada Ismael Álvarez, la réalisatrice Icíar Bollaín plonge avec précision dans le mécanisme d’emprise et ses ravages.
Depuis quelques années, il n’y a plus de doute, l’Espagne, où les femmes ont eu le droit de vote en 1931, s’avère être le pays précurseur en Europe pour les droits des femmes et dans la lutte contre les violences sexistes et sexuelles, notamment depuis que le socialiste Pedro Sánchez est à la tête du gouvernement. En 2022, l’Espagne est le premier pays européen à prendre en compte officiellement tous les féminicides. L’année suivante, une loi créant un congé menstruel pour les femmes souffrant de règles douloureuses a été adoptée. Ou encore, il y a seulement quelques mois, El País annonçait « la mise en place d’un bureau spécialisé dans la prévention des violences sexistes et sexuelles et l’accompagnement des victimes » par le ministère de la Culture.
Mais déjà en 2002, l’affaire Nevenka bousculait l’Espagne en condamnant pour la première fois un homme politique accusé de harcèlement sexuel, le maire de Ponferrada Ismael Álvarez, bien avant #MeToo (ou #YoTambién) et les libérations récentes de la parole. Racontée dans le livre de Juan José Millás en 2006, Une histoire de harcèlement, l’affaire Nevenka, adapté en mini-série documentaire sur Netflix par Maribel Sánchez-Maroto (Nevenka Fernández brise le silence, 2021), cette affaire a tout naturellement fait son chemin chez la réalisatrice espagnole engagée Icíar Bollaín. Son onzième long-métrage, sobrement intitulé en français L’Affaire Nevenka, puisqu’il faut appeler un chat un chat, met en lumière l’histoire de Nevenka Fernández (Mireia Oriol, impressionnante), une jeune femme devenue conseillère municipale à 25 ans. Le maire (Urko Olazabal), ami de ses parents, la prend sous son aile et la promeut rapidement au Trésor, avant de la courtiser lourdement et de la harceler après qu’elle a cédé.
L’Affaire Nevenka semble dès son ouverture adopter tous les atours classiques du film « d’après une histoire vraie » ou « inspiré de faits réels » : une crise d’angoisse déconcertante suivie d’une discussion avec un avocat lui affirmant un bienheureux « Je te crois », et nous voilà embarqués dans un flash-back nous racontant les faits qui vont mener à cette plainte. Or progressivement, l’écriture ciselée et intelligente de la réalisatrice et sa mise en scène, parfois peut-être un peu trop appuyée mais ne quittant jamais Nevenka, dévoilent tous les rouages du lent piège d’emprise qui se referme sur elle. On assiste, non sans souffrance, à un rabaissement normalisé et une stigmatisation constante, étouffante, dégradant psychologiquement et physiquement l’héroïne. Puisque Nevenka en est réellement une, qui a dû puiser en elle l’immense force de renverser le pouvoir en s’attaquant à Álvarez par l’intermédiaire de la justice pour enfin récupérer sa propre identité et s’écrier « Soy Nevenka (Je suis Nevenka) ». Et cette Affaire Nevenka, dont on ressort éreinté, nous fait dire qu’il y a des films comme celui-ci dans lesquels la fiction au cinéma va puiser avec intelligence dans une forme de reconstitution historique pour mieux faire ressortir un aspect d’utilité publique comme une démonstration quasi pédagogique, un cas d’école pour alerter et à montrer au plus grand nombre. Ou comment, quand les mots ne parviennent plus à expliquer l’emprise, le harcèlement, le consentement et toutes les violences sexistes et sexuelles subies, la puissance des images peut prendre le relais.
DIANE LESTAGE
L’affaire Nevenka
Réalisé par Icíar Bollaín
Avec Mireia Oriol, Urko Olazabal, Ricardo Gómez
Espagne, Italie, 2024
À la fin des années 90, Nevenka Fernández, est élue à 25 ans conseillère municipale auprès du maire de Ponferrada, le charismatique et populaire Ismael Alvarez. C’est le début d’une descente aux enfers pour Nevenka, manipulée et harcelée pendant des mois par le maire. Pour s’en sortir, elle décide de dénoncer ses agissements et lui intente un procès.
Inspiré de faits réels, L’AFFAIRE NEVENKA révèle le premier cas de #MeToo politique en Espagne.
En salles le 6 novembre 2024.
