Cannes 2024 : ANORA - Sean Baker

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4 carats pour une nuit inoubliable

La Palme d’or 2024 met à l’honneur l’humour et la plume unique de Sean Baker, qui donne vie à des personnages marginaux inoubliables. Son cinéma s’épanouit dans cette tragicomédie d’action euphorique où Mikey Madison incarne une travailleuse du sexe rayonnante qui va chercher à saisir son propre rêve de princesse. 

Les films de Sean Baker tirent leur magnétisme de leur ancrage dans des lieux particuliers. Après un motel de la banlieue de Disney World dans The Florida Project, et une petite ville du Texas dans Red Rocket, c’est dans l’agitation du quartier russe de New York que le réalisateur immerge son nouveau long-métrage. Au prisme des allées et venues des personnages, il y explore des endroits de Brighton Beach bien différents, reliant un club érotique à la villa d’un milliardaire. Dans un début à la Pretty Woman sous MDMA, la rencontre entre Ani, une jeune stripteaseuse, et un fils d’oligarque russe du nom d’Ivan fait des étincelles. 

De soirée en soirée, d’ellipse en ellipse, ce couple insolite carbure à l’ivresse de la fête et du sexe. À la fois scénariste, réalisateur et monteur, Sean Baker offre ici un cinéma hyper maîtrisé, jouant avec le rythme pour capturer l’émotion. Aisément, il prend complètement le contrepied de ce conte de fées improbable dans sa deuxième partie. Place à la gueule de bois pour les personnages, qui se retrouvent coincés dans un jeu de pouvoir explosif et surprenant. Loin d’un retournement tragique, la romance prend des airs de film de gangster alors que trois hommes de main des parents d’Ivan interviennent. L’action change radicalement de temporalité, se condense d’un seul coup pour une scène de près d’une demi-heure où se déploient les ressorts comiques qui seront utilisés par la suite. 

C’est là que se révèle la deuxième grande force du film : ses personnages. Les acteur·ices en sont le cœur battant, leur donnant la juste profondeur entre comédie et réalisme. Avec leurs caractères bien trempés et leurs dialogues hilarants, les mafieux forment un trio semblant sortir tout droit d’une création des frères Coen. Ivan est terriblement insupportable, ses parents extravagants et Ani tout simplement merveilleuse. Celle-ci prête son nom complet au titre, car c’est bien l’attention portée sur son vécu qui pousse le film au-delà de la comédie. 

Dans la continuité de sa filmographie, Sean Baker refuse tout misérabilisme et stigmatisation des classes populaires, et se place à leur côté. Dans ce clash avec les ultra-riches, ce sont toujours les travailleuses et travailleurs qui ont la dernière attention de la caméra, à défaut de pouvoir avoir le dernier mot. Avant le tournage, Mikey Madison a tenu à rencontrer des travailleuses du sexe de Brighton Beach. Cette démarche évite les écueils des clichés et témoigne de l’humilité indispensable pour une incarnation juste. On retient surtout la manière dont Ani, pleine de fougue, navigue dans les rapports de pouvoir. Pourquoi s’oppose-t-elle à ce point à cette famille richissime qui souhaite rompre son union avec Ivan ? On peut y voir de l’idéalisme ou de l’opportunisme, le choix est laissé au spectateur. Ani ne semble jamais totalement perdre le rapport de force, et va même jusqu’à l’inverser grâce à sa grande gueule, ou parfois… à coups de dents. En menant son combat jusqu’au bout, elle conserve coûte que coûte ce qu’on tente de lui refuser : sa dignité. 


LÉA LAROSA

Anora

Réalisé par Sean Baker

Avec Mikey Madison, Mark Eidelstein, Yuriy Borisov

États-Unis, 2024

Le parcours d'une travailleuse du sexe entre New York et Las Vegas.

En salles prochainement.

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