APOLONIA, APOLONIA - Lea Glob
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Portrait d’une portraitiste
La cinéaste danoise Lea Glob s’immisce pendant 13 années dans le monde bohème d’Apolonia, jeune artiste déterminée et assoiffée de reconnaissance. Résultat, un documentaire captivant sur l’art comme nécessité et le passage d’une femme à l’age adulte, primé Meilleur film à l’IDFA.
Des sourcils broussailleux surmontent son regard désinvolte. Son nez trace une ligne le long de son visage jusqu’au trou glissé entre ses deux incisives, qu’on aperçoit quand elle sourit. Une ligne de chair froissée traverse le bas de son abdomen et ancre dans sa peau le souvenir d’une tumeur qui la condamnait à une vie bien plus courte. Pour Lea Glob, un visage et un corps racontent leur détentrice.
Ce qui était d’abord un projet d’études, filmer la vie d’Apolonia Sokol, s’est transformé en obsession pour Lea Glob. Aucun autre sujet ne l'a intéressée autant que la jeune peintre parisienne qui venait des quatre coins de l’Europe et avait grandi dans un théâtre. Dès leur première rencontre, Apolonia fixe la caméra comme si elle lui faisait confiance, tout en la défiant. Puis elle la réclame. Elle aussi veut filmer celle qui fait son portrait. De 2009 à 2021, Glob suit l’artiste à la vie atypique qui l’accueille à bras ouverts. Peu à peu, la réalisatrice infiltre son propre film, attirée dedans par la peintre, comme si les deux femmes voulaient dessiner chacune le portrait de l’autre.
Lea devient amie avec Apolonia qui l’invite dans son intimité. Avec Lea, Apolonia prend des bains, s’habille, se fait faire les ongles, décolore sa moustache ou coupe sa frange aux ciseaux de cuisine. Ces mises en beauté qui racontent la féminité sont comme un écho au processus de création documentaire. On prend la vérité et on en cache certains bouts, on en sublime d’autres. En dévoilant ces étapes, ces choses paraissent construites et on devine le vrai qui se cache en dessous.
Glob filme le corps d’Apolonia avec une empathie et un amour rarement vus dans le documentaire. Le corps est seulement corps, jamais objet de désir. Il est un vaisseau, un moyen d’expression artistique avant tout. Nu, il devient prétexte à la confidence ou outil de protestation. Il est le corps d’une amie, pour qui elle a eu un coup de foudre cinématographique.
C’est une obsession que racontent Apolonia et Lea. Celle d’immortaliser la vie grâce aux images. Les images sauvent la vie, nous disent les deux artistes. Elles racontent la beauté des détails, la volatilité des moments vécus, la banalité des événements importants. Elles agrandissent les personnes oubliées et immortalisent leurs combats et leurs désirs. Elles esquissent des corps parfois puissants, parfois à l’épreuve de maladies mais toujours là, qu’on les aime ou qu’on s’en moque. La peintre et la cinéaste ont cela en commun : raconter leur désir de vivre.
Apolonia suit la trace de ses parents qui filmaient tout de leur vie et Lea celle de son grand-père qui peignait des portraits. L’obsession des images coule peut-être dans le sang, mais ce qui est sûr, c’est qu’elle fait naître l’amitié.
NOÉMIE ATTIA
Apolonia, Apolonia
Écrit et réalisé par Lea Glob
Avec Apolonia Sokol, Oksana Shachko,Lea Glob
Danemark, Pologne, France, 2023
Lorsque la réalisatrice danoise Lea Glob commence à filmer la peintre Apolonia Sokol, il ne devait s’agir que d’un exercice d’école de cinéma. Le portrait filmé s’est finalement tourné sur treize années pour se muer en une épopée intime et sinueuse, celle d’une jeune femme artiste, depuis sa vie de bohème au cœur du théâtre du Lavoir Moderne que dirigent ses parents, jusqu’à son ascension dans le milieu de l’art contemporain, en passant par ses études aux Beaux-Arts de Paris. Mais en miroir d’Apolonia, ce sont aussi les destins d’Oksana Shachko, l’une des fondatrices des Femen, et de la réalisatrice, qui se dessinent. Une sororité à trois faces, à l’épreuve du monde d’aujourd’hui.
En salles le 27 mars.