PAS DE VAGUES - Teddy Lussi-Modeste
Au bout du rouleau compresseur
Dans ce thriller en milieu scolaire, François Civil incarne solidement un professeur de français accusé de harcèlement sexuel par une élève. Un exercice d’équilibriste rondement mené grâce à un scénario subtil que le réalisateur cosigne avec Audrey Diwan.
Sur le papier, difficile de ne pas voir dans le pitch de Pas de vagues un champ de mines. En 2024, alors que le cinéma français peine toujours à accueillir la parole de femmes qui dénoncent des violences sexuelles et une emprise subies très jeunes (sans parler d’agir pour prévenir ce fléau), raconter l’histoire d’un prof faussement accusé de harcèlement par l’une de ses élèves pouvait à tout moment basculer dans le contrechamp le plus réactionnaire, virer à la complainte du mâle blessé. Et pourtant. Pas de vagues n’est pas le énième signe d’un backlash savamment organisé contre les mouvements féministes, mais bien un film complexe et subtil sur l’insoutenable incommunicabilité des êtres.
Au départ, il y a Julien, jeune prof de français qui se démène pour tenter d’amener Ronsard à des collégiens pas très intéressés et bien loin d’aller voir si la rose. Il faut pour cela user de pédagogie et de métaphores, adapter la langue, récompenser ceux qui travaillent, dont la jeune Leslie, discrète mais prometteuse élève, et surtout ignorer les vannes qui fusent en permanence dans une classe dissipée. Lorsque Julien est convoqué parce que Leslie l’accuse de harcèlement sexuel, il tombe de haut. Voilà l’enseignant parfait, celui qui ose encore croire à la sacro-sainte transmission et se montre proche de ses élèves, cloué au pilori, qui plus est par l’un de ses meilleurs éléments.
C’est à partir de là que le film tire intelligemment tous les fils d’une situation hautement inflammable. Pas de vagues n’est pas l’histoire d’un pauvre prof victime abandonné de tous, c’est d’abord celle d’une différence de perception. Leslie, timide et jeune, très gênée par les réactions de ses camarades, a réellement cru être la cible de son professeur. Julien (le meilleur rôle d’un François Civil tout en sobriété) a cru bien faire en récompensant la tête de classe, sans réaliser qu’il abandonnait les autres. La CPE qui le reçoit d’abord tente de prendre au sérieux la première, de soutenir le second, mais la situation s’envenime quand même.
Contrairement à ce que pouvait laisser entendre son point de départ, Pas de vagues explore bien le poids du patriarcat. Il est incarné par le personnage du frère de Leslie, qui ne laisse à aucun moment la jeune fille récupérer son libre arbitre et se rétracter, comme par Julien qui l’a tant intériorisée qu’il n’ose pas révéler son homosexualité dans la banlieue où il travaille. Le film avance en équilibre sur une ligne de crête, s’engouffrant dans une atmosphère de plus en plus étouffante et, s’il perd un peu en subtilité sur la fin avec une mise en scène plus ostentatoire, ne laisse aucune ambiguïté sur le fond de son propos. Le réalisateur Teddy Lussi-Modeste, qui s’est inspiré de sa propre vie pour ce film, et sa coscénariste Audrey Diwan n’ont pas voulu faire la peau du mouvement #MeToo. Mais bien relever le gouffre grandissant qui sépare les uns et les autres dans une société de l’affect, plus prompte à instrumentaliser des faits divers qu’à tenter d’en comprendre les tenants et les aboutissants.
Il n’est d’ailleurs pas anodin que cette histoire, qui aurait tout aussi bien pu se passer dans le cadre d’une entreprise, se tienne en milieu scolaire. En filmant l’école, c’est-à-dire l’endroit où se construit la jeune génération, comme un territoire abandonné aux passions et déserté par la nuance, parfois même semblable à une prison en pleine révolte, Teddy Lussi-Modeste en fait une sorte d’échantillon de la société actuelle et à venir.
MARGAUX BARALON