BEAU IS AFRAID - Ari Aster

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Tuer la mère

Avec une troisième œuvre qui cultive l’introspection, Ari Aster livre ici une séance thérapeutique vaine, invitant son public à le suivre dans un « boulevard de déception », quitte à perdre celui-ci par la démesure des moyens employés et la redondance de son propos. 

Si le registre de l’horreur psychologique permet de sonder les affres des relations familiales, c’est bien Ari Aster qui en a fait sa grande spécialité. Le réalisateur new-yorkais s’est taillé une place de choix dans le cinéma horrifique, porté par la très bankable société de distribution américaine A24, fer de lance d’un cinéma de genre souvent exigeant, parfois intellectualisant. Après le très joli succès du huis clos toxique Hérédité, qui montrait avec habileté la répétition fatale des erreurs familiales à travers le personnage interprété par Toni Collette, et la confirmation du superbe Midsommar qui explorait les cheminements du deuil dans un cauchemar ensoleillé et folklorique, Ari Aster était attendu au tournant pour son troisième long-métrage Beau is Afraid, présenté comme un voyage halluciné autour de la culpabilité maternelle.

La déception est d’autant plus forte que l’attente était grande ; car au long de 2 h 59 indigestes, Ari Aster va étaler sur plusieurs exercices de mise en scène un complexe d’Œdipe minimaliste, directement issu d’un manuel de théorie freudienne. Entre ego trip halluciné et fantasme primal de la mère castratrice, Beau is Afraid se révèle profondément agaçant, en plus de s’épancher dans des répétitions interminables qui creusent la vacuité de son discours.

Évidemment, tout n’est pas à jeter : Beau propose d’abord une première heure franchement réussie, qui matérialise à l’écran une multitude d’angoisses banales dans une imagerie d’étrange rêve éveillé. Beau, incarné par Joaquin Phoenix, est un grand enfant, vivant aux crochets de sa mère dans un quartier cauchemardesque ; lorsque l’indicible se produit, il tente à tout prix de la rejoindre, mais tous les éléments vont se dresser contre lui à l’image d’une tragédie. Ari Aster fait alors basculer son récit dans une narration purement symbolique, une succession de métaphores où le voyage de Beau sera celui de sa psyché. 

À ce titre, la deuxième heure de Beau is Afraid privilégie l’explicite, dans une séquence inspirée du monde cauchemardesque de La Casa Lobo (dont les deux réalisateurs, Cristobal Leon et Joaquin Cocina, ont aidé à la réalisation de la partie animée de Beau is afraid), et cristallise le déséquilibre familial autour de la figure maternelle. S’il est facile de constater l’importance que la transmission et l’héritage occupent dans le cinéma d’Aster, il est navrant de mesurer les limites thématiques de ce troisième film, qui se révèlent à la lumière d’une réalisation prétentieuse.

Car la quête de Beau s’enlise dans la redondance de la critique de la mère : Aster s’acharne, dans un règlement de comptes risible, à la pointer comme responsable de l’incapacité du fils à vivre. Si la terreur se fait chair en Beau, c’est bien parce que ce dernier se complaît dans sa propre impuissance. Le film s’empêtre dans un dénigrement systématique des ravages de la mère, à la fois dépeinte comme méchante, malsaine et narcissique et qui s’incarne notamment dans un Jugement dernier pathétique où le spectateur contemple les oripeaux d’une sorte de Truman Show, venant délaisser le comique au profit du dolorisme.

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Malgré des séquences poussant le malaise à l’extrême et venant sonder l’âme torturée de Beau, la narration du film tourne à vide ; en confirmant la fatalité des origines, Aster tue par le même coup l’élan qui portait jusque-là l’intrigue : il abandonne Beau à ses monstres et peint avec cruauté la famille comme terreau du mal, auquel nul n’échappe, même pas l’homme-enfant de cette épopée formellement jubilatoire, mais stérile dans ses idées.

Noyé dans ses névroses, Beau reste donc tel qu’il a été présenté à son spectateur en début de film : un personnage pirandellien, c’est-à-dire soumis à une fatalité qu’il se construit lui-même. Car si le bouc émissaire se matérialise sous la forme de la mère, le point de vue de Beau demeure flou tant il ne cesse d’être redéfini au cours du film. Tantôt aux pieds de celle qu’il adule, puis la dénigrant avant de finir par l’étrangler, le garçon fait de sa mère l’image de sa propre faiblesse, voire la justification de son ressentiment.

Aster s’épuise, à force d’explications, à montrer la continuité des psychoses entre une mère et son fils, transmises par les liens du sang ; ce qui n’est pas sans rappeler les figures maternelles maniaques, à l’instar de celle de son court-métrage Munchausen ou bien de La Pianiste d’Haneke. Pour Beau, la génitrice est à la fois objet d’un amour débordant et source de sa castration symbolique : interdit de relations sexuelles par une prétendue maladie transmise d’un père inconnu, il demeure vierge et indésirable. Ce n’est qu’à la mort de celle-ci qu’il pourra avoir une relation sexuelle, sur le lit de sa propre mère (s’il fallait encore appuyer la symbolique). 

Variant les mises en scène de l’amour, la culpabilité et la castration, Ari Aster ne peut revendiquer l’originalité de son thème, dont il ne dépasse jamais le stade primal, pour justifier ses trois heures de film. Il suffirait déjà de se référer à la filmographie du sacro-saint Woody Allen, ou même au J’ai tué ma mère de Dolan, pour montrer à quel point le thème de l’homme hanté par sa culpabilité envers une mère castratrice est devenu un poncif. S’en emparer exigeait une approche originale ; il n’en reste chez le public qu’un sentiment de lassitude.

Mariana Agier et Alice Godeau

Beau is Afraid

Réalisé par Ari Aster

Ecrit par Ari Aster

Avec Joaquin Phoenix, Nathan Lane, Amy Ryan

Etats-Unis

Beau tente désespérément de rejoindre sa mère. Mais l’univers semble se liguer contre lui…

En salles le 26 avril 2023.

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