BREF.2 - Kyan Khojandi et Bruno Muschio

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Regarde les hommes changer

La deuxième saison de la série culte Bref, diffusée sur Disney+, est un prolongement réussi du format court développé il y a treize ans, qui offre une réflexion passionnante sur la masculinité contemporaine.

Attention, cet article révèle des éléments clefs de l’intrigue

À l’heure de la franchisation extrême de n’importe quel succès sur grand comme sur petit écran, l’annonce d’une suite de Bref, format court réjouissant diffusé sur Canal+ pendant la saison 2011-2012, avait de quoi inquiéter. Comment reprendre, treize ans plus tard, une histoire somme toute assez banale – la vie d’un trentenaire un peu paumé – sur un format d’épisodes d’une quarantaine de minutes, soit 38 de plus que la pastille originelle ? Que pourraient bien trouver à raconter Kyan Khojandi et son complice Bruno Muschio, alias Navo, les cocréateurs de la série ? La réponse est : beaucoup de choses sur le temps qui passe, les hommes, les femmes, les relations entre les deux et le sens de la vie. Marchant constamment sur une ligne de crête entre la fidélité au concept de départ et la capacité à épouser une époque qui a bien changé depuis le début des années 2010, cette seconde saison est une réussite complète.

D’abord parce que « Je », le personnage principal incarné par Khojandi lui-même, est toujours aussi fascinant. Bref n’a jamais été une série aussi légère qu’on pouvait le croire, et la mini-pastille savait aussi, entre les traits d’humour, se réserver des bulles de mélancolie. C’est d’autant plus évident sur un format rallongé. Au début de cette deuxième saison, Je a trouvé l’amour mais celui-ci, une femme aussi incroyablement sexy que changeante, appuie brusquement sur le frein à main. 

Célibataire, terrassé, toujours aussi perdu que lorsqu’il avait treize ans de moins, notre anti-héros se retrouve alors face à la douloureuse réalité : il est quadragénaire et tout le monde a changé, sauf lui. Son ex Sarah (Alice David) a réalisé un film multi-primé qui raconte leur relation dans lequel il passe pour un connard, son ex Marla (Bérengère Krief) a trouvé le bonheur en trouple, son frère (Keyvan Khojandi, qui est réellement le frère de Kyan) s’est marié, son pote Baptiste (Baptiste Lecaplain) est devenu un super-papa. Lui ? Il est resté au même endroit, c’est-à-dire nulle part. Le seul qui a suivi le même chemin, c’est son pote Ben, englué dans une relation houleuse avec une certaine Billie (Laura Felpin, nouvelle arrivée dans la bande).

La « copine reloue »

Ce personnage de Billie est l’occasion, pour la série, d’interroger avec acuité le concept de dit de la « copine reloue ». Vous savez, cette compagne dont, si vous ne vous basez que sur les dires de votre pote, vous pensez forcément du mal. Parce qu’elle est chiante, instable, pique des colères et le suit à la culotte, râle quand il part en soirée, râle quand il rentre de soirée, et ne supporte absolument aucune contrariété. Cette compagne dont, finalement, vous ne connaissez rien d’autre que ses crises de nerf.

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Lorsque Billie débarque chez Je, celui-ci s’attend à une tornade. Il aura finalement droit à une brise d’air frais. Ce que nous raconte Bref.2, c’est aussi cette manière de socialiser et de faire groupe viriliste, qui tend à n’accepter dans le collectif que les femmes adoptant des codes masculins, et à repousser les autres, notamment les « meufs de », à la marge. À ce titre, le personnage de Billie est l’un des plus intéressants de cette nouvelle saison, porté par l’interprétation à la fois comique et extrêmement touchante de Laura Felpin. Il est passionnant en lui-même, beau dans ses imperfections, mais aussi dans ce qu’il révèle chez Je. C’est-à-dire un tiraillement intense entre son bon fond (fondamentalement, le personnage principal de Bref est sympathique) et la manière dont il s’est construit avec les codes classiques de la masculinité.

Le mec du film

La grande réussite de Navo et Kyan Khojandi est d’avoir su s’emparer de ce sujet pour l’interroger en profondeur, sans détour mais sans donner de leçons non plus. Bref.2 balaie un nombre impressionnants d’aspects de cette masculinité en peu de temps, avec la légèreté et l’élégance conférées par son format, fait de vannes et de métaphores parlantes. Il y a la paternité d’abord, lorsque J se rend compte que le vide laissé par l’absence du père est d’autant plus grand qu’ils ne se parlaient pas lorsqu’il était présent. La rivalité avec le frère ensuite, soldée lors d’une séquence magnifique dans laquelle les deux refont l’histoire et se mettent à nu, dévoilant toutes les insécurités qui les poussent à s’opposer et se faire du mal.

Mais surtout, l’illumination vient lorsque Je comprend qu’il est « le mec du film ». Celui que son ex a réalisé et qui ressemble, tel qu’il est présenté au début dans la série, à un cliché de drame familial français sur un couple en crise. Evidemment, Je ne se reconnaît pas dedans et voit dans le geste artistique une pure vengeance. Jusqu’à ce qu’au terme d’une énième relation foirée par sa faute, la lucidité frappe enfin à sa porte. Les mecs du film, ce sont ces colériques un peu lâches mais surtout très autocentrés, tellement d’ailleurs que plus personne ne peut se frayer un chemin jusqu’à eux, sinon les potes de si longue date qu’ils en sont devenus trop patients. Bref.2 ne s’arrête pas à ce portrait peu reluisant en offrant à ses personnages la possibilité, immense et magnifique, de changer. Cela nécessitera de faire tomber quelques barrières et d’en élever de nouvelles, notamment contre tous les Ben du monde qui ne se remettent pas en question et misent toute leur vie sur la solidarité masculine pour se conforter, mais c’est possible. Et c’est sûrement là que la série, dans un mouvement moins angélique que salvateur, tient son propos le plus juste.

MARGAUX BARALON

Bref.2

Réalisé par Kyan Khojandi et Bruno Muschio

Avec Kyan Khojandi, Laura Felpin, Baptiste Lecaplain, Bérengère Krief…

France, 2025

Ça y est, il a 40 ans. Et le constat est amer :

À force de non-choix et de ne jamais réellement se prendre en main, il se retrouve encore et encore à la même place, en galère de thunes, sans copine et sans travail. Un énième retour à la case départ qui va enfin le motiver à réagir, à se prendre en main et à écouter quelqu’un d’autre que la voix dans sa tête.

Sur Disney+ à partir du 14 février 2025

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