Les femmes dans les dystopies de science-fiction : notre top
Tous les mois, la rédaction de Sorociné vous partage ses coups de cœur thématiques. En février, pour faire honneur au festival de cinéma de science-fiction Les Mycéliades, Louise Bertin, Alicia Arpaïa, Manon Franken, Margaux Baralon, Lisa Durand, Mariana Agier et Diane Lestage vous partagent leur sélection de dystopies de science-fiction mettant les personnages féminins à l’honneur.
Born in flames, Lizzie Borden, 1983
Dans le futur proche de Lizzie Borden, les Etats-Unis ne sont ni envahis par les extraterrestres, ni en proie à un combat mortel avec des robots. Born in Flames, réalisé en 1983, met en scène un futur bien plus invraisemblable : une révolution socialiste et démocratique pacifique a eu lieu. Mais 10 ans après, l’utopie s’est transformée en dystopie lorsque la révolution a trahi et abandonné les femmes et les minorités. Plus actuel que jamais, cet ovni sous forme de docu-fiction expose avec aplomb et humour les différents mouvements de la lutte féministe, des groupes institutionnels à l’action directe radicale. Sous l'œil inquiet du FBI, les militantes expriment, notamment en chanson, leur révolte à la radio. La résistance contre l’oppression hétéropatriarcale n’a jamais été aussi inspirante. Devenu un film culte de la cinéphilie indépendante états-unienne, Born in Flames fait de la science fiction queer un geste révolutionnaire. L.B.
Strange Days, Kathryn Bigelow, 1995
La dystopie, et même la science-fiction au sens large, est un genre auquel les réalisatrices se sont hélas peu frottées jusqu’à ce jour. Impossible ainsi de ne pas citer Kathryn Bigelow et son formidable Strange Days, thriller sorti en 1995 mettant en scène une société obsédée par les images. Des images, parfois extrêmement violentes, qui se revendent à prix d’or au marché noir, afin de les revivre à loisirs via un casque VR qui ne disait pas encore son nom. Si Ralph Fiennes tient le haut de l’affiche en dealer vidéo embourbé dans une sombre affaire, il est accompagné d’une Angela Basset plus badass que jamais. Elle est Mace Mason, garde du corps de profession (chose rare) et binôme de choc, qu’on adore notamment voir sortir les poings dans une séquence finale en plein Time Square. Un personnage avant-gardiste dans le paysage hollywoodien, dont la dégaine annoncerait presque la Trinity des Wachowski, Angela Bassett devenant aussi une des premières actrices racisées à obtenir un tel rôle dans le cinéma de SF à gros budget, après Tina Turner dans le Mad Max 3 de George Miller. A.A.
Blade Runner 2049, Denis Villeneuve, 2017
On ne peut pas vraiment dire que, aussi hypnotisant soit-il, Blade Runner (1982) était progressiste quant au traitement de ses personnages féminins. Au contraire, il suivait le triste chemin des œuvres de son époque qui glamourisaient ostensiblement les agressions sexuelles. Dans la suite réalisée par Denis Villeneuve, K, un répliquant nouveau genre, est chargé de traquer et éliminer ses semblables de la génération précédente, un peu trop rebelle au goût de la société humaine, lorsqu’il se retrouve à enquêter sur la possibilité d’une fertilité des répliquants et, au passage, sa propre identité. Au fur et à mesure de ses rencontres, le blade runner hypermasculin du premier film laisse place à une rébellion déclenchée par l’amour non pas pour, mais par des femmes. Le personnage de K se révèle passif face à une pléiade de personnages féminins : une cheffe de police humaniste, une prostituée décidée à faire valoir ses droits, une intelligence artificielle qui comprend qu’elle n’existe que pour satisfaire les hommes, une répliquante ultra-violente en quête de maternité et surtout, à une scientifique qui abrite le secret de la mémoire. Ce sont des femmes qui révèlent et forgent l’âme des androïdes et donc celle de l’humanité.
Sorti en 2017, soit la même année que la chute d’Harvey Weinstein, Blade Runner 2049 annonçait déjà, par un miracle aléatoire, que le futur serait féminin. M.F.
Ex Machina, Alex Garland, 2014
Dans ce qui est encore aujourd’hui son film le plus réussi, le réalisateur Alex Garland imagine la rencontre d’un jeune codeur brillantissime, Caleb, avec une intelligence artificielle, créée par le patron de l’entreprise qui l’emploie. Celle-ci a la forme d’un robot humanoïde féminin, s’appelle Ava et, très vite, trouble fortement celui qui est chargé d’évaluer si, oui ou non, elle est suffisamment évoluée pour donner le change et se faire passer pour un être humain. S’emparant du sujet assez balisé dans la science-fiction de ce qui différencie les hommes des machines, Alex Garland parvient à en faire une nouvelle proposition, interrogeant tout à la fois les rapports de pouvoir et les rapports amoureux. Surtout, il inverse intelligemment le trope vu et revu du robot sublime uniquement là pour assouvir le désir des hommes en portant dessus un regard critique et en ménageant à son héroïne une belle occasion de faire sa révolution. M.B.
Edge of Tomorrow, Doug Liman, 2014
"Quand vous vous réveillerez, venez me trouver !" C'est sur cette phrase cryptique prononcée sur le champ de bataille, avant de mourir lors d'une explosion que Rita Vrataski entre dans le tonitruant Edge of Tomorrow. Adapté du light novel All You Need Is Kill de Hiroshi Sakurazaka, l'excellent film de Doug Liman, mets en vedette l'increvable Tom Cruise dans un futur proche où une espèce extraterrestre mène la guerre à toute l'humanité. Coincé dans une boucle temporelle, le major Bill Cage revit la même bataille meurtrière chaque jour. Il croise le chemin du sergent Vrataski, vétérante de guerre et poster child de l'armée. Surnommée l'Ange de Verdun ou Full Metal Bitch, elle est une soldate rigoureuse à la carapace aussi dure que son exosquelette de combat. Victime de la même boucle temporelle que Cage, elle devient son mentor après avoir perdu son don et l'entraîne avec acharnement. Remarquablement interprèté par Emily Blunt, qui lui insuffle une physicalité hypnotisante, Rita est un personnage à l'attitude pragmatique et aux compétences de combat inégalées. Complexe, elle s'échappe des tropes de films de science-fiction et d’action, qui dictent que les femmes sont incapables d’être à la fois puissantes et humaines. Sous son masque de froideur calculé, se dévoile un humour sarcastique doublé d'un syndrome post-traumatique et d'une volonté inflexible de sauver l'humanité. L.D.
Hunger Games, Gary Ross, 2012
Figure de proue de la tendance science-fiction young adult de la décennie 2010, la saga Hunger Games, adaptée des romans de Suzanne Collins, tape toujours aussi fort dix ans plus tard — et en particulier son premier film, qui se démarque par sa réalisation plus brute et moins lissée que le reste de la franchise. Rarement on aura vu, dans le florilège des dystopies young adult, un personnage féminin aussi complexe, réfléchi et torturé que celui de Katniss Everdeen. Mélangeant survivalisme et critique de la société du spectacle, Hunger Games fait de Katniss un personnage à la fois charismatique et antipathique ; et s’il n’évite pas le grand classique du triangle amoureux, celui-ci est toutefois relégué à un rôle très anecdotique, laissant la place à l’agentivité de Katniss et sa capacité à évoluer dans cet univers cauchemardesque. Paré d’une esthétique rétrofuturiste haute en couleurs, le film résonne toujours avec une certaine pertinence dans son propos sur le détournement des luttes sociales par le spectacle, et sur la nécessité de créer des récits collectifs pour se révolter. M.A.
Max Mad : Fury Road, George Miller, 2015
2015. 30 ans après le troisième volet de Mad Max (Au-delà du dôme du tonnerre), George Miller offre enfin une suite à la saga post-apocalyptique culte. Et pas des moindres : Mad Max: Fury Road. Tom Hardy au volant reprend le rôle de Mel Gibson dans un monde chaotique où tous se battent pour l’essence et l’eau. Face au non-héros quasi mutique pendant tout le film , elle apparaît sous les traits de Charlize Theron : prothèse pour remplacer un bras manquant, cheveux rasés, graisse noire étalée sur le visage et yeux bleus perçants. Furiosa, l’Imperator vole complètement la vedette de Max dans cet univers de sable et chrome. Icône féministe, voire même éco-féministe dans un monde absolument misogyne gouverné par le tyran Immortan Joe où les femmes sont condamnées à être ses épouses « pondeuses », elle fait s’évader cinq d’entres elles à bord d’un camion-citerne dans un geste libérateur radical. Un personnage badass qui fait du bien aux représentations cinématographiques à tel point que Miller lui consacre un préquel, Furiosa : une saga Mad Max dans lequel Anya Taylor-Joy reprend le rôle, effaçant pour la première fois depuis 1979, celui qui donne son nom à la saga : Max. D.L.