CAITI BLUES - Justine Harbonnier
Le Blues de la maturité
Depuis son enfance, Caiti a été nourrie du rêve américain et a développé une passion pour la scène. Elle a brillamment interprété des rôles de comédie musicale qui lui ont forgé une carrure de star, jusqu’à ce que son ascension artistique se heurte à ses désillusions économiques.
Après s’être endettée d’un prêt étudiant pour poursuivre des études en école d’art, Caiti trace sa route de New York à San Francisco, mais s’arrête en chemin au Nouveau Mexique, dans le quartier de Madrid. Ses ambitions artistiques sont laissées de côté au profit d’une vie moins extravagante, régulée par son travail de serveuse qui lui permet de rembourser ses dettes, dont les intérêts ne font que croître avec l’inflation. Le temps passe, sa situation s’éternise et la perspective d’un retour à la scène devient de plus en plus floue. En parallèle, une crise de légitimité latente la ramène continuellement à une forme d’échec.
Au sein d’une radio locale, Caiti s’engage pour animer une chronique et créer des programmations musicales régulièrement. Installée au micro, face à la grande fenêtre du studio qui montre un panorama semi-désertique de Madrid, la chanteuse tient une émission dans laquelle elle se met en scène tout en faisant le lien avec l’actualité politique qui secoue les États-Unis. Au fil de ses introspections enregistrées, Caiti développe un nouveau rapport au public. L’immensité de l’environnement qui se présente à elle à chaque fois qu’elle se rend à la radio alimente l’espoir d’un futur et d’un ailleurs où la musique constituerait à nouveau une zone de liberté.
Réalisé par Justine Harbonnier, ce premier long métrage fait un zoom sur une tranche de vie de Caiti qui témoigne de son cheminement pour renouer avec la musique. La réalisatrice n’en est pas à son coup d’essai pour filmer Caiti. La chanteuse était apparue dans le premier court métrage de Justine Harbonnier en 2014, Il y a un ciel magnifique et tu filmes Angèle Bertrand, qui explorait également la quête de soi. Si le film montre la chanteuse encore engourdie par une politique économique qui contraint chacun de ses projets à la racine, Caiti Blues ne cache pas la lente levée de la tempête après un long sommeil artificiel.
Attendre de rentrer dans le moule, ou que le moule se fasse à elle n’est pas la stratégie de Caiti pour remonter sur scène. C’est depuis la marge que Caiti se remet à la comédie musicale. Sur les planches de théâtres alternatifs, elle interprète des numéros tout droit sortis du Rocky Horror Picture Show. Lorsque Caiti se joint à d’autres artistes qui partagent les mêmes motivations et le même défi punk de faire avec ce qu’iels sont et ce qu’iels ont, elle trouve une place dans ce nouvel espace, où être une « star » prend un une signification nouvelle.
Le film de Justine Harbonnier relate une tranche de vie précise : celle d’un après, mais avant le futur. Ce moment de préparation avant la transition. Un moment de ras le bol en suspens. Une conscientisation générale que l’esthétique du film met en forme et en couleur avec beaucoup de tendresse. Le travail de l’image du film fait honneur au personnage de Caiti et met en scène la mélancolie en toile de fond par une image douce, intimiste et texturée encadrée au 4:3. Il réalise un effet de cocon entre l’image et le public. Même si la musique de Caiti (dont des cartons successifs mettent en valeur le texte) qui fait la BO du film nous immerge dans son univers artistique et met un pas dans le genre de la comédie musicale, le film ne cherche pas un happy end. Sans prétendre tirer de conclusion, Caiti Blues se contente d’exposer un état de transition pendant lequel l’attente et l’effusion artistique se percutent. Caiti est un personnage de non-fiction, comme il en existe beaucoup dans nos entourages, qui a le talent et le goût pour la scène, mais que la vie a conduit sur un chemin avec moins de paillettes. Pour un temps.
NOEMIE DEVOS