Conann la Barbare, une vraie violence au féminin ?

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Le sujet de la « violence féminine » est souvent romancé au cinéma, sursexualisé ou prétexte pour parler d’autre chose. Avec sa Conann la Barbare, Bertrand Mandico cherche à renverser les codes du genre et des genres avec des personnages de femmes à la violence subversive et décomplexée. Sans réussir totalement à en éviter les écueils.


La déviante, la cruelle, la violente… jusqu’à la reine. Dans le dernier film de Bertrand Mandico, Conann la Barbare attend sur son trône aux enfers une humaine plus violente qu’elle qui pourrait prendre sa place au-dessus du fleuve de ses regrets. 

Partant du mythe du barbare ultime, brute épaisse à la force surhumaine, campé en 1982 chez John Milius par un Arnold Schwarzenegger aux muscles luisants, Conann est ici incarné tour à tour par six actrices d’âges différents, renversant les codes et jouant avec le(s) genre(s). C’est le cœur du parti pris de Mandico : montrer des femmes brutales, violentes, barbares, fait (trop) rare sur grand écran. 

Loin de la figure de celles qui assassinent dans l’ombre, à coups de potions et de machinations, empoisonneuses et autres comploteuses, les Conann affichent une forme de brutalité presque  grossière, à l’opposé des stéréotypes de la violence féminine ; entre envolée de paillettes, sang et épées qui s’entrechoquent. La  première scène de combat, rituel vu et revu au cinéma où le jeune  premier doit prouver sa force au clan, en est un exemple parfait. La  bataille est sanglante, sale, au plus près des visages hagards des deux combattantes. Mais plus le film avance, plus la violence de Conann se normalise. Les actrices, dénudées, privées d’armures et trop souvent sexualisées, forment des figures beaucoup plus classiques de la femme assassine.

On pense aux films au goût douteux de la nazisploitation face à une Conann en cuir et képi, sa poitrine à peine couverte par deux bretelles noires, dans un imper de cuir caractéristique du costume nazi sexualisé. Ce cinéma d’exploitation pornographique né dans les années 1950 mettait en scène des femmes nazies fantasmées, commandantes SS en bottes de cuir à talons aiguille, torturant physiquement et sexuellement le plus souvent des femmes, des prisonnières de camps de concentration. Un tabou mis en scène de façon racoleuse avec pour figure centrale une femme dominatrice et sursexualisée, image dejà surexploitée dans les récits du petit et du grand écran. 

Comme l’a dit très bien l’historienne Elissa Mailänder justement à propos des participantes au Troisième Reich, quand il s’agit de femmes il est plus facile pour le grand public de lier « excès de grande violence et débauche sexuelle* ». Et ici Mandico, comme beaucoup de réalisateurs avant lui, ne déroge pas à la règle.

La sorcière rouge dans Doctor Strange in the Multiverse of Madness - Copyright The Walt Disney Company France

Les clichés de la femme fatale meurtrière, au début évités, finissent par parasiter le film. Et par réduire la question de la violence à une cruauté mégalomane qu’on a déjà vue chez de nombreuses « grandes méchantes » du cinéma, de la reine de Blanche-Neige à Sharon Stone dans Basic Instinct, et jusqu’à récemment la sorcière rouge dans le dernier Docteur Strange, portant le deuil d’enfants imaginaires qui la poussent à la folie, et prête pour ça à détruire le monde. Le paradoxe est récurrent : la femme violente est représentée soit en monstre sadique comme les « héroïnes » de la nazisploitation ou les manipulatrices, soit ignorante de la portée de ses actes, aveuglée par la bêtise, la rage comme Médée, ou la douleur comme la sorcière rouge. L’entre-deux étant, au cinéma, trop peu fréquent.

À la violence aveugle de Conann qui raconte donc peu de choses au-delà de la poésie de sa fable, on préférera par exemple les femmes en errance d’Ana Lily Amirpour, découverte pour sa vampire aussi menaçante qu’émouvante dans A Girl Walks Home Alone at Night. Le moins connu Mona Lisa and the Blood Moon, sorti en 2021, met en scène une jeune femme au pouvoir psychique dévastateur cheminant dans une Nouvelle-Orléans nocturne, où la violence lui permettra de s’émanciper, avant de retrouver au contact d’autrui plus d’humanité. Les personnages féminins de la réalisatrice iranienne sont la preuve de la nécessité d’un regard désexualisant sur la violence féminine, des outils pour elle de puissance et de pouvoir tout autant qu’instrument destructeur, subi, donné, éprouvé. Autre exemple, le récent Mars Express de Jérémie Périn s’est également démarqué par la violence mélancolique de son héroïne. Calme par moments, à d’autres téméraire, cynique au côté sentimental, jamais monolithique. Toutes ces facettes guidant sa violence, réponse à celle des autres et du monde.

Sans retirer au long métrage de Bertrand Mandico le bel hommage qu’il semble rendre à la figure de l’amazone, première des barbares, la violence féminine qu’il dépeint peine en fin de compte à nous proposer quelque chose de nouveau. La reine Conann est bien violente, mais sa barbarie n’évite pas les clichés.

LOU MONTESINO

* Elissa Mailänder, « Aventurières, déclassées, brutes ? Retour sur les surveillantes SS des camps de concentration nazis »,Combattantes. Une histoire de la violence féminine en Occident, Seuil, 2020.

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