LES CHAMBRES ROUGES - Pascal Plante
Au delà du mal
Avec Les Chambres rouges, l’horreur 2.0 trouve enfin ses lettres de noblesse dans un thriller atypique.
Les légendes sur les snuff movies à peine dissimulés sur le dark web fascinent les internautes amateur.ices de frissons. Cette approche numérique de la mort a donné naissance aux « red rooms », chambres de torture fantasmées dans des récits horrifiques de Reddit. Les Chambres rouges s’appuient sur ce postulat. Un homme, à la vie a priori banale, est jugé pour avoir séquestré, torturé et assassiné plusieurs adolescentes sur des vidéos retransmises en direct. Tous les jours, Kelly-Ann assiste à son procès. Si Clémentine, une autre habituée des bancs du tribunal, est là, c’est parce qu’elle s’est prise de fascination pour le tueur qu’elle imagine désespérément innocent. Mais nul ne connaît les véritables intentions de Kelly-Ann, elle-même ne semblant pas comprendre ce qui l’amène à faire la queue devant la chambre d’audience.
Au lieu du stéréotype de l’idiote fan du tueur, Clémentine est un personnage chaleureux. Elle est naïve et refuse d’accepter l’horreur qui peut venir d’un homme au regard qu’elle trouve touchant. C’est une bavarde sympathique et (trop) empathique, engagée dans la mauvaise cause. De son côté, Kelly-Ann reste silencieuse, munie d’une obsession raisonnablement incompréhensible, magnétiquement évidente. Élégante et habituée aux piges de mannequin, la jeune femme vit pourtant recluse dans un appartement quasiment vide. C’est une représentation atypique d’une nerd, qui ne discute qu’avec son intelligence artificielle qu’elle a configurée, tout en gagnant majoritairement sa vie grâce à des parties de poker en ligne. Mais la mise en scène du film rend cette Lisbeth Salander de la haute couture davantage énigmatique que badass. La caméra a beau creuser son regard sombre, elle reste un fantôme qui hante la salle d’audience et le métro de Montréal. Son immeuble, beaucoup trop haut, dispose d’une caméra de surveillance dont Kelly-Ann semble être la seule vision. « Ludovic », l’horrible tueur, n'a rien du monstre de cinéma. C’est un homme avachi qui ne quitte jamais le box de l’accusé. Plutôt que de montrer ses yeux bleus qui fascinent la presse, Pascal Plante expose ses cernes marquées. On n’essaiera jamais de comprendre ce qui l’a poussé à l’horreur - parce qu’on s’en fiche.
Les Chambres rouges ne montre jamais une seule goutte de sang, à part peut-être sur une des photographies présentées lors du procès. Les images horrifiques sont toujours montrées avec du recul, n’étant jamais seules dans la composition d’un plan. Car le film ne fait pas dans le sensationnalisme mais dans les sensations. Ce n’est fort heureusement pas une leçon de morale sur la fascination naturelle de l’homme pour les faits sordides, mais une fiction-essai sur notre rapport à l’horreur 2.0 et à la solitude dans les grandes villes. Le long-métrage évite les écueils arty et réussit à aborder l’indicible, à travers un thriller qui n’en est pas vraiment un, et offre une expérience déroutante.