À LA VIE - Aude Pépin
Guerrières de l'amour
Les sage-femmes sont en lutte. Depuis le coup d’éclat médiatique de la professionnelle Anna Roy à propos des conditions d’exercice désastreuses de son métier, des collectifs de soignantes se sont fondés un peu partout à travers la France ; elles réclament, entre autres, une meilleure répartition des effectifs pour mieux s’occuper de leurs patientes au moyen de ce mot d’ordre : “une femme = une sage-femme”. Et s’il y a bien une personnalité qui suit cette affaire de près, c’est Aude Pépin. L’ancienne actrice (qui a notamment joué pour Océan dans la comédie Embrasse-moi ! ) passe à la réalisation avec À la vie, un premier film solaire et engagé qu’elle dédie à toutes les “guerrières de l’amour”.
Après quarante ans de bons et loyaux services aux Lilas, Chantal Birman part à la retraite. Celle que l’on appelait la “sage-femme des banlieues” prend ses dernières dispositions avant de claquer la porte : elle visite les dernières patientes qu’elle prenait en charge en libéral, accompagne le stage d’une étudiante en médecine, et se remémore ses années militantes aux côtés de ses consœurs. Après toutes ces années à l'œuvre, Chantal Birman n’a perdu ni patience ni colère. Elle traîne sa grande valise grise de foyer en foyer pour veiller sur les nouveau-nés, mais surtout sur leurs mères, bouleversées par leur nouveau rôle.
À la vie est un documentaire tout en délicatesse et en sobriété, et pourtant, il ne recule devant rien. En filigrane des activités de la sage-femme, nous devinons la détresse des jeunes mères, cette facette plus sombre et difficile de la maternité que l’on n’ose pas montrer dans les productions mainstream. La caméra s’attarde sur les visages défaits ou ravinés de larmes, les cicatrices de césarienne et les seins violacés, gorgés de lait pour opérer à une réunification d’un corps démembré par le jargon médical d’hôpital. Birman l’affirme elle-même, il faut dépasser ce discours pour toucher l’humain dans toute sa profondeur et sa complexité, sans tabous.
De la lutte en faveur de l’avortement en passant par les combats actuels contre les féminicides, ce long-métrage qui ne dure pas plus d’1h10 dépasse une lecture individuelle des violences obstétriques pour le replacer dans le contexte plus grand du système patriarcal et capitaliste, qui privatise les hôpitaux et entame le service public quitte à ce que des femmes en pâtissent. La médecine est politique pour Chantal Birman, et les acquis sociaux ne sont jamais pérennes. Follement inspirée, Aude Pépin demeure discrète derrière la caméra, n’utilise que très peu d’effets pour laisser toute sa place à ce témoignage, et on sent le plaisir de la réalisatrice à filmer des femmes en lutte, des femmes qui parlent sans détours. À la vie porte très bien son nom : c’est une ode à la pulsion de vie et à la sororité.
Réalisé par Aude Pépin
Chantal Birman, sage-femme libérale et féministe, a consacré sa vie à défendre le droit des femmes. À presque 70 ans, elle continue de se rendre auprès de celles qui viennent d’accoucher pour leur prodiguer soins et conseils. Entre instants douloureux et joies intenses, ses visites offrent une photographie rare de ce moment délicat qu’est le retour à la maison.
En salle le 20 octobre 2021