LE PEUPLE LOUP - Tomm Moore et Ross Stewart

Dans la forêt

Pour l’automne, le tandem Tomm Moore et Ross Stewart nous propose de se plonger dans la forêt irlandaise, à la recherche de contes, de légendes celtiques et d’émancipation féminine. Le peuple loup viendra ravir les aficionados de cette saison colorée avec une animation aux tons orangés et jaunes. C’est dans une atmosphère médiévale que se pose le récit, qui sous son air léger, propose un contexte solide de conquête anglaise sur des terres étrangères, pour le profit et le pouvoir. 

Un récit symbolique

Les wolfwalkers sont un peuple mythique irlandais, occupant la forêt et cohabitant avec les loups, animal horrifique de l’époque. Humain le jour, loup la nuit, ce peuple vit en communion avec la forêt. Mais, quand le film commence, il n’en reste que deux représentantes, Moll MacTíre et sa fille, Mebh, chevelures de feu et yeux incandescents, qui terrifient les paysans vivant en dehors des remparts du village.

De l’autre côté de ces remparts se trouvent Robyn et son père, des anglais venus chasser les loups à la demande du seigneur du village. Le but étant de s’emparer des terres de la forêt et d’étendre le pouvoir anglais sur les contrées irlandaises. Orpheline de mère, Robyn est une petite fille loin de se complaire dans les stéréotypes de son genre. Elle refuse de porter le bonnet — obligatoire pour cacher sa chevelure dorée — refuse d’être enfermée dans leur minuscule chambre, refuse d’être protégée par la figure du père et surtout, veut parcourir la forêt et devenir chasseuse de loup. Éduquée dans la peur de l’animal, dans la peur de l’inconnu, uniquement pour la « protéger » du danger, Robyn va pourtant se lier d’amitié avec Mebh et connaître une transformation, autant physique que spirituelle. 

Les loups-garous ont souvent fait office de métaphore, dans la pop-culture, pour analyser les transformations du corps à l’adolescence. Dans Le peuple loup, les transformations, qui se passent dans le secret de la nuit, sont surtout le moyen d’échapper à une condition toute définie pour leur genre. Robyn passe son temps à refuser tous les symboles qui lui sont liés : le bonnet, l’enfermement, la condition domestique, pour embrasser la liberté que lui offre sa nouvelle vie de wolfwalker et la forêt. Pourtant, Bill, son père, n’est pas le bourreau que l’on imagine. S’il veut confiner sa fille dans le cocon de leur chambre, à l’intérieur des remparts, c’est par peur plus que par sadisme. Peur de la forêt, lieu vu par son regard comme dangereux pour une jeune fille. Peur de la perdre car traumatisée par la perte de sa femme. Le personnage est un homme en deuil, formé par la société et sa condition de classe d’écouter les plus riches et de protéger femmes et enfants parce que c’est son rôle. En proie au doute, déchiré par son envie de voir sa fille épanouie et le poids de la responsabilité parentale, Bill va devoir changer son regard sur sa fille et découvrir, lui-aussi, la liberté qu’offre la forêt.

Une animation à motif

En adéquation avec son récit, la mise en scène de Lepeuple loup fourmille d’une animation géométrique et de forme libre, rappelant d’un côté l’enfermement de la ville et de l’autre, l’abandon de toute contrainte. Jouant sur les différentes dimensions du cadre, le village de Kilkenny apparaît comme étroit et est montré, de loin, comme aplati en 2D par le pouvoir grandissant du seigneur Protecteur. Au contraire, la forêt comporte une multitude de détails, la mise en scène jouant sur le son, l’espace et la vision du loup pour étendre encore plus le cadre. Les deux réalisateurs ont annoncé s’être inspirés du merveilleux dernier long métrage de Isao Takahata, Le conte de la princesse Kaguya, dans les traits dynamiques et les déplacements des personnages dans la forêt, goûtant le plaisir de se déplacer librement et de découvrir les senteurs et les végétaux. Le visuel du film se construit comme un art de peinture à motif, qui emprunte autant à Gustav Klimt qu’aux mandalas, proposant un aspect fractal de la nature, de toute beauté.

Le peuple loup dévoile une narration fascinante sur la rencontre de deux mondes, délimités par leurs propres préjugés et forme un conte moderne sur l’émancipation et la liberté.


Réalisé par Tomm Moore et Ross Stewart

Avec Lévanah Solomon, Lana Ropion, Serge Biavan

En Irlande, au temps des superstitions et de la magie, Robyn, une jeune fille de 11 ans, aide son père à chasser la dernière meute de loups. Mais un jour, lors d’une battue en forêt, Robyn rencontre Mebh, petite fille le jour, louve la nuit. Désormais pour Robyn, ayant rejoint elle aussi le peuple des loups, la menace ne vient plus des loups, mais bien des hommes !

En salle le 20 octobre 2021

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