BONNE MÈRE - Hafsia Herzi

Portrait de mère

«Tu mérites un amour qui balaierait les mensonges et t’apporterait le rêve, le café et la poésie » dit le poème écrit par Frida Kahlo. Hafsia Herzi en reprenait le titre pour son premier long métrage, Tu mérites un amour, sorti en septembre 2019. 

Premier film tourné mais pas le premier écrit. La réalisatrice, scénariste et actrice avait dans ses tiroirs une histoire inspirée de son enfance dans le quartier nord de Marseille, considéré comme l’un des plus dangereux de France. Bonne mère est le portrait d’une mère-courage, avec trois enfants adultes et deux petits-enfants à charge. Elle se lève à cinq heures du matin, enchaîne les heures et prend le temps d’aller voir son fils aîné, incarcéré pour braquage. L’amour ultime, celui «qui te pousse à te lever rapidement le matin» comme le dit Frida Kahlo, c’est Nora qui le prodigue à sa famille. Elle est le pilier invisible, celle qui se lève avant tout le monde et apporte de la douceur au quotidien. 

Geste du quotidien

Dans le choix même de son personnage principal, Hafsia Herzi déplace le regard sur une communauté et un quartier souvent dépeint avec condescence et/ou misérabilisme. Sorti quelques semaines seulement après Gagarine cet été, Bonne mère — comme le film de Fanny Liatard et Jérémy Trouilh — échappe au récit classique de cité, où la violence côtoie la misère. Au contraire, ici, l’image est douce, l’empathie est présente dans chaque parcelle du cadre. C’est le quotidien domestique d’une mère de famille que nous montre la réalisatrice. À l’image de Chantal Akerman, qui dans Jeanne Dielman, 23, quai du Commerce, 1080 Bruxelles concentrait sa mise en scène dans les tâches quotidiennes, Hafsia Herzi donne de la noblesse dans les gestes de Nora. Elle se lève (tôt), prend le bus, le métro, un autre bus, fait ses heures à l’aéroport de Marseille, puis vient s’occuper d’une personne âgée (elle fait ses courses, son ménage, sa toilette), avant de rentrer faire le ménage dans son propre appartement. Les journées sont harassantes, pourtant elle n’oublie personne. Elle fait la cuisine pour ses collègues. Elle distribue conseils et mots gentils à son entourage et ne montre jamais de signes de fatigue. Par fierté peut-être, ou par peur de plus pouvoir se relever si elle s’arrête. 

Comme pour son premier film, la cinéaste fait appel ici à des acteur⋅trices non-professionnel⋅les. C’est par hasard que Halima Benhamed, venue accompagnée sa fille au casting, se retrouve avec le rôle de Nora. Elle illumine le cadre de sa présence, son aura douce enveloppe la mise en scène minimaliste de Hafsia Herzi. Bien que le récit soit fictionnel, le jeu de l’actrice renforce l’accent réaliste du film. Rien n’est extravagant dans sa façon de filmer, au contraire. Ce naturalisme lui sert à placer une véritable émotion dans son film et à nous faire accepter qu’il ne se passera pas “grand chose” dans la narration. L’action se trouve dans la vie de tous les jours : les repas en famille, la lessive, le trajet jusqu’au boulot ; et dans le quotidien plus spécifique de Nora : les visites à son fils, en prison. 

Jeunesse désabusée

Parce que son regard est dénué de stéréotypes, parce qu’elle filme un lieu dans lequel elle a grandi,Hafsia Herzi montre une autre vision de la banlieue populaire et de ses habitants. La jeunesse qu’elle dépeint essaie désespérément de se hisser loin de la misère, tout en rejetant l’aliénation d’un travail peu gratifiant. Bonne mère montre le gouffre entre générations. Celle de Nora, qui a tout sacrifié pour ses enfants, acceptant des conditions extrêmes en espérant un monde meilleur. Et pour celle de ses enfants, qui comme la fille de Nora, Sabah, ont maintenant leurs propres progénitures, le résultat est amer et le sacrifice se remet de lui-même en question. Le monde meilleur promis n’existe que pour une certaine frange de la population mais ne peut atteindre le quartier, stigmatisé tous les jours par les médias. Nous comprenons alors l’attrait que peut ressentir Sabah face à la proposition d’une amie pour se faire de l’argent facile, grâce à la société qui offre une façon aux hommes d'assouvir leur fantasme sexuel moyennant de l’argent. « Je ne peux pas rester au RSA toute ma vie » dit-elle, en pensant à sa fille. Hafsia Herzi aborde cette prostitution sans jugement, mais n’édulcore pas le danger et la violence entourant ce buisness, qui profite de femmes dans le besoin. 

Dans ce second film, la cinéaste montre son talent pour filmer des personnages dans toute leur complexité. Si le récit prend le temps de présenter un quotidien redondant et domestique, c’est dans les dialogues et les caractères des protagonistes que se place une énergie communicative. Dans les engueulades, l’accent du sud, la tchatche facile et la sincérité avec laquelle Hafsia Herzi les cadre. En choisissant l’amour et l’empathie, elle appose un nouveau regard sur les quartiers nords de Marseille et continue de se construire une filmographie singulière, privilégiant les relations et le naturel. 


Réalisé par Hafsia Herzi

Avec Halima Benhamed, Sabrina Benhamed, Jawed Hannachi Herzi

Nora, la cinquantaine, femme de ménage de son état, veille sur sa petite famille dans une cité des quartiers nord de Marseille. Après une longue période de chômage, un soir de mauvaise inspiration, son fils aîné Ellyes s’est fourvoyé dans le braquage d’une station-service. Incarcéré depuis plusieurs mois, il attend son procès avec un mélange d’espoir et d’inquiétude. Nora fait tout pour lui rendre cette attente la moins insupportable possible…

Disponible en DVD le 7 décembre 2021 / BLAQ OUT

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