LA TERRE DES HOMMES - Naël Marandin

Emprise silencieuse

Sélectionné à la Semaine de la Critique à Cannes 2020, La Terre des Hommes est le deuxième long métrage de Naël Marandin. Il place sa caméra à l’intérieur du monde agricole qu’il connaît bien. Membre pendant sept ans du collectif d'artistes KompleXKapharnaüM, il avait déjà eu l’occasion de plonger dans l’univers de l’élevage bovin en Bourgogne lors d’un spectacle. Fasciné par la théâtralité d’une vente aux enchères, le cinéaste décide d’y signer une fiction, aux enjeux plus vastes que le sujet de l’élevage. En décidant de placer une héroïne au cœur de l'intrigue, Naël Marandin tisse un récit sur le rapport de force genré que peut entretenir un monde aussi fermé et masculin. Une emprise à la fois physique et économique, dont le personnage principal, Constance (Diane Rouxel), aura du mal à se défaire. 

La terre et le corps

En 1974, Françoise d’Eaubonne citait pour la première fois le terme écoféminisme dans son ouvrage Le féminisme ou la mort. Ce mouvement féministe entrelace les dominations des hommes sur les femmes et des humains sur la nature. Ce lien sur ces différentes dominations se dévoile dans l’histoire de Constance. Alors qu’elle aspire à effectuer un élevage plus respectueux de la nature et qu’elle demande une aide en conséquence pour mener à bien son projet, la main tendue que lui propose Sylvain Rousseau (Jalil Lespert) est à double tranchant. Directeur du salon bovin, Sylvain siège également dans la société où Constance doit déposer son dossier. Il voit dans le projet de Constance un chemin pour créer une nouvelle façon de travailler au sein du marché agricole, mais aussi un bon moyen pour se hisser à la présidence du conseil. Constance devient sa clef du succès. Leur cause commune s'unit avec le besoin de pouvoir de Sylvain. Une terre à sauver, un corps à posséder. Constance se retrouve emprisonnée dans une situation, sans possibilité de s’en défaire. D’un côté, son père et son fiancé comptent sur elle pour sauver la ferme de la faillite. De l’autre, si elle repousse les avances de son seul soutien, il pourrait lui causer du tort ainsi qu’à toute sa famille. 

Utilisant les codes du rape and revenge, la scène de viol devient le pivot du récit. Pourtant, Naël Marandin décide de ne pas se positionner en voyeur et place sa caméra sur Constance. Elle est l’élément qui déclenche les mouvements. Le cadre la met sans cesse au centre, pour mieux accompagner sa souffrance, pour mieux comprendre son état de sidération. Le cinéaste suit depuis le début son personnage principal et accompagne ses gestes auprès des bêtes avec un mouvement fluide, pour permettre aux spectateur‧trices de sentir son aisance dans son métier. Pour cette séquence, le réalisateur décide d’installer un plan-séquence, qui commence et finit dans la voiture de Constance. Quand elle arrive dans le bureau de Sylvain, elle est démunie. Son dossier a été rejeté pour vice de forme. Il sent dans cette détresse une faiblesse qu’il exploite. Plus que sa force physique, c’est le poids de son pouvoir qui empêche Constance de réagir. Elle ne sait pas comment se détourner des caresses qu’il lui administre sans qu’elle puisse verbaliser son consentement ou non. Pas d'ambiguïté pourtant, la caméra nous montre ses sentiments. Son dégoût, son refus intérieur. Diane Rouxel déploie un jeu complexe, où elle montre toute l'étendue de son talent. Le personnage arrive à verbaliser son refus, mais Sylvain décide de passer outre. Sylvain passera le reste du film à nier les faits. De son côté, Constance mettra du temps à poser le mot viol sur ce qui s’est passé et doit composer un visage neutre pour ses proches. Mais entre le stress du dossier et le traumatisme, le masque se craquèle parfois et montre la détresse dans laquelle elle s’enferme. 

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Une nouvelle forme de vengeance

Le système dans lequel Constance vit contient une partie cachée. Il n’est pas uniquement question de l’élevage, il s’inscrit également dans des décisions politiques et individuelles. C’est ce qu’elle verra par le biais de Sylvain, qui se sert d’elle à des fins sexuelles et politiques. Constance a peu de pouvoir et d'armes pour le combattre. C’est un élément que l’on voit souvent dans les rape and revenge. Cette incapacité à pouvoir s'élever au niveau de son bourreau rend la justice difficile à obtenir. Il ne reste que la vengeance intime. Généralement, cette vengeance est violente, sanglante. Les victimes s'approprient la violence masculine pour la retourner contre leur violeur. 

Dans La Terre des Hommes, la violence est pernicieuse mais presque invisible. Elle se cache derrière un système, derrière un silence. Quand Constance parle, son entourage (à part sa famille) ne la croit guère. Elle dérange et surtout elle échange les rôles. Sylvain devient la victime d’une machination, son univers est façonné pour le protéger de ce genre d’accusation. Constance ne peut gagner, sauf si elle se réapproprie les codes du monde de Sylvain, dans son arène. En affrontant son agresseur sur son propre terrain, elle s’affranchit du poids des regards et creuse elle-même le chemin vers son rêve. 

À l’aide de ses co-scénaristes, Marion Doussot et Marion Desseigne-Ravel, Naël Marandin dévoile avec beaucoup de réalisme le rapport de force qu'entretient le microcosme agricole, dans lequel Constance doit se débattre.La Terre des Hommes souligne les dérives de ce système, qui alimente l’emprise économique des petites exploitations tout autant que les violences de genre. 


Réalisé par Naël Marandin

Avec Diane Rouxel, Finnegan Oldfield, Jalil Lespert…

Constance est fille d’agriculteur. Avec son fiancé, elle veut reprendre l’exploitation de son père et la sauver de la faillite. Pour cela, il faut s’agrandir, investir et s’imposer face aux grands exploitants qui se partagent la terre et le pouvoir. Battante, Constance obtient le soutien de l’un d’eux. Influent et charismatique, il tient leur avenir entre ses mains. Mais quand il impose son désir au milieu des négociations, Constance doit faire face à cette nouvelle violence.

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