LE TRADUCTEUR - Rana Kazkaz et Anas Khalaf

Les nerfs à vif

Le conflit syrien a tristement été un grand sujet d’actualité il y a quelques années (bien qu’il soit aujourd’hui loin d’être encore résolu). Le peuple syrien s’est d’abord révolté contre le régime de Bachar el-Assad, qui a réprimé avec violence les manifestations. L’Etat islamique a ensuite profité de la situation pour s’immiscer dans le pays. Rana Kazkaz et Anas Khalaf sont américano-franco-syriens, vivaient à Damas et ont assisté aux révoltes contre le régime de Bachar el-Assad, tout en ne pouvant revendiquer pleinement leurs opinions dans la rue, de peur d’être embarqués. Les cinéastes ont choisi de revenir sur ce moment crucial, avant l’arrivée de Daesh, pour dénoncer la violence de Bachar el-Assad et l’inaction de la communauté internationale, à travers un film qui met en scène des acteurs dont certains ont aussi été militants. Dans Le Traducteur, premier long-métrage du couple de cinéastes, nous sommes en 2011 et Sami, un traducteur syrien ayant obtenu la nationalité australienne, se rend dans son pays natal pour retrouver son frère militant disparu. Il fait alors face à la violence qui y règne, au peuple qui se méfie de ses semblables et à la difficulté de retrouver sa place sans mettre sa vie et celle de ses proches en danger.

Privilèges et identité

Outre sa dénonciation de la violence du régime de Bachar el-Assad, le film évoque l’individualité du militant. Sami a eu le privilège de rester en Australie et a « abandonné » sa famille à son sort, tout en sauvant probablement sa vie. La « vie » est davantage caractérisée comme de la « survie » à Damas, où les relations amicales sont minées par l’absence de confiance en l’autre, dans un univers où chacun tente de ne pas mettre en danger sa famille. Les puissants manipulent les masses, masses qui sont elles-mêmes représentées par les proches de Sami. Le Traducteur tente de mettre des visages sur les opprimés, les anonymes tombés au combat, et rend justice à ceux qui se sont battus pour faire valoir les droits de leurs concitoyens, quitte à y perdre la vie. Le film est incontestablement une œuvre militante ; toutefois il serait injuste de le réduire à ce seul aspect puisque même si c’est ce qui en fait sa nature, celui-ci dispose d’une proposition formelle intéressante.

Le Traducteur se déroule dans un court espace-temps. L’exposition est très courte, peut-être même un peu trop puisqu’on peine un peu à comprendre tout de suite la situation et les relations entre les personnages. De manière générale, le défaut du film est la gestion des temps morts, qui ne peuvent pleinement exister pour ne pas gâcher son caractère anxiogène mais qui sont parfois nécessaires pour y comprendre l’enjeu dramatique. Il faut dire que Sami, très brièvement présenté, peine un peu à exister autrement que par sa position délicate. C’est pourtant le point de départ d’une quête installée sur un rythme effréné dans l’enfer d’une guerre civile. En adoptant le strict point de vue de son personnage principal, qui n’est jamais lâché ne serait-ce qu’une seconde par la caméra, le film joue sur l’identification à ce dernier pour faire naître la tension, à la fois intérieure et extérieure. Le danger physique (être torturé ou tué) côtoie le drame intérieur (la perte d’un proche, le choix de s’exprimer ou se taire).

Le Traducteur est un thriller à échelle humaine, dans lequel le héros – et ce terme a son importance – doit autant sauver sa peau que ses valeurs personnelles. Le film lie admirablement la dénonciation du régime de Bachar el-Assad et la culpabilité propre à son personnage. Rana Kazkaz et Anas Khalaf livrent finalement une œuvre assez personnelle sur leur identité, leurs doutes, mais l’ouvrent au plus grand nombre à travers une expérience éreintante et violente. C’est autant un film-témoignage qu’une fiction réussie.


Réalisé par Rana Kazkaz et Anas Khalaf

Avec Ziad Bakri, Yumna Marwan, David Field

En 2000, Sami était le traducteur de l’équipe olympique syrienne à Sydney. Un lapsus lors de la traduction le contraint à rester en Australie, où il obtient le statut de réfugié politique. En 2011, la révolution syrienne éclate et le frère de Sami est arrêté pendant une manifestation pacifique. Malgré les dangers il décide de tout risquer et de retourner en Syrie pour aller le libérer..

En salle le 13 octobre 2021

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