LES SORCIÈRES D'AKELARRE - Pablo Aguero

Un écho historique

L’élan actuel du féminisme dans notre société occidentale a remis la figure de nos sorcières en vogue. Le réalisateur franco-argentin Pablo Aguero l’a utilisé dans son nouveau long-métrage, co-écrit avec la scénariste Katell Guillou. Inspirée de faits réels, Les Sorcières d'Akelarre fait directement allusion au procès de sorcellerie au Pays basque, qui s’est déroulé en 1609, date et lieu de l’intrigue. La région est alors minée par une chasse aux sorcières, prétexte misogyne organisé par l’Inquisition, qui empêche la création de religions autres que celle du clergé. Une bande de jeunes femmes encore adolescentes est accusée d’avoir organisée le Sabbat afin d’invoquer le Diable. Elles deviennent, lors des interrogatoires, ce pour quoi on les poursuit…

En quête de modernité

Il est évident que Les Sorcières d’Akelarre souhaite, avec son récit d’époque, faire écho avec notre situation actuelle. Il n’y a rien de neuf dans cette idée qui peut s’inscrire autant comme produit tendance facile qu’étude approfondie et visuelle de tout un pan de ce qui construit encore nos institutions. Dans le cas du film de Pablo Aguero, cette symbiose temporelle donne naissance à une mise en scène inspirée. Sa contemporanéité est à l’image de ces jeunes femmes qui évoluent dedans avec grâce et joie, alors que les hommes de l’Inquisition ne sont que bavardages en champ-contre-champ. Le film est de ce fait très verbal, malgré une discussion à sens unique dans laquelle les hommes font face à l’absurdité de leur réquisitoire. Le résultat est aussi intelligent qu’un peu plat, les situations en viennent à se répéter sans que cela ait un quelconque effet et les personnages féminins restent paradoxalement relativement peu existants : seules trois filles parviennent à être complètement caractérisées.

Les Sorcières d’Akelarre est, par sa mise en scène évocatrice d’un désir de liberté, loin du théâtre filmé. Les mouvements de la caméra embrassent les gestes des jeunes femmes, pour former les prémices de la danse diabolique qu’elles viendront à exécuter. Les personnages sont des corps qui bougent, qui évoluent pleinement dans l’espace que la mise en cadre leur offre ; la modernité du médium cinématographique et sa capacité à se propager font écho avec le propos de l’intrigue. En choisissant de réaliser un film, dont l’accessibilité à tou‧tes est aisée, Pablo Aguero renoue avec les légendes populaires, en plus de permettre une proximité physique avec ses personnages. En revanche, la question du choix du cinéma se pose lors des longues scènes de bavardages, aussi nécessaires soient-elles. On comprend aisément que le cinéaste cherche à opposer formellement un univers d’innocence et de jeunesse à l’âpreté des hautes instances ecclésiastiques mais le fonctionnement est trop mécanique.  La dichotomie entre une caméra qui se veut légère, pour représenter les figures féminines et des plans relativement statiques, davantage appuyés par de simple champ contre champs est un peu faible et peine à parvenir à l’effet recherché.

Les fulgurances de sa mise en scène et le refus de faire une œuvre trop austère, aussi timide soit-elle, rejoint cependant le plus grand choix scénaristique du film : Pablo Aguero a beau traiter de la sorcellerie, son projet ne bascule jamais dans le fantastique. Il se concentre sur l’évolution de jeunes femmes ordinaires, éléments représentatifs d’une figure adolescente populaire, face à un comportement masculin qui instrumentalise les questions spirituelles dans le but d’asseoir leur domination. Les Sorcières d’Akelarre n’est pas une observation purement scientifique ou un spectacle païen romanesque : c’est la retranscription visuelle et émotionnelle d’une résistance féminine.

La force socio-géographique

L’ « Akelarre » est le terme basque pour désigner l’endroit où les sorcières effectuent leurs rituels. Son utilisation dans le film n’est pas anodine puisque l’œuvre est lié à un contexte socio-géographique. L’histoire du Pays basque est étroitement liée à son identité, aujourd’hui fièrement revendiquée. Le lieu, coincé entre la France et l’Espagne, possède sa propre langue et son propre folklore. Les hautes instances ecclésiastiques de l’époque ont vu, dans les traditions basques, une menace pour le développement total de leur religion. Lorsque l’on demande, dans Les Sorcières d’Akelarre, pourquoi est-ce que ces terres sont propices à la sorcellerie, le curé du coin réplique « les basques sont inconstants comme la mer ». Outre la joliesse de cette formulation, elle décrit d’emblée la volonté d’une insoumission, l’inconstance étant la volonté d’exister loin des velléités franco-espagnoles. Le film se pose ainsi comme témoin d’une fierté identitaire alors réprimée par le pouvoir des régions alentour – la sorcellerie n’étant finalement rien d’autre que la représentation d’une résistance. Les jeunes femmes accusées de se soumettre au Malin sont issues d’une classe populaire, elles pensent d’abord être emprisonnées en raison du vol d’une chèvre, de laquelle elle souhaitait tirer un peu de lait. La chèvre, femelle du bouc, animal associé au Diable comme a pu le peindre Francisco Goya, prend une tournure symbolique ambigüe, innocente par le besoin naturel de s’alimenter et accusatrice par son caractère occulte. L’autre ambigüité du film, plus franche et loin d’être hasardeuse, est le personnage du curé du coin. Il défend ses croyances avec ferveur et franchise, pendant que les hautes-instances sont des figures cyniques, dont la situation dévoile la cruauté misogyne.

Les Sorcières d’Akelarre est, en ce sens, extrêmement bien renseigné et il est difficile de nier la richesse des éléments qui en découlent. Pourtant, le long-métrage oscille entre sa créativité dans son exultation et ses faiblesses, probablement liées à un aspect encore un peu brouillon et relativement timide. Pablo Aguero tâtonne encore sur la symbiose dans l’opposition entre la résistance féminine et les objectifs de l’Eglise Son film reste tiraillé entre sa richesse dissimulée et un certain simplisme. L’intention est claire mais il faut savoir disséquer l’œuvre pour apprécier pleinement ce qui semble être le plus intéressant : son utilisation du contexte socio-historique du Pays basque au début des années 1600.

De ce fait, Les Sorcières d’Akelarre se situe clairement, dans ses thématiques, l’un des fils sprituels de La Sorcière, essai écrit par Jules Michelet en 1862. Ce dernier a, par sa conjoncture des luttes et son romantisme exacerbé, déjà inspiré des films comme le psychédélique Belladonna de Eiichi Yamamoto. Pablo Aguero reste davantage terre-à-terre dans les faits de son scénario, bien que le visuel de son œuvre tende parfois (bien que trop timidement) vers l’infernal. En dépit de ses limites, Les Sorcières d’Akelarre reste une approche intelligente de la sorcière pour traiter à la fois d’une volonté de libération féminine que de lutte des classes.

Réalisé par Pablo Aguero

Avec Alex Brendemühl, Amaia Aberasturi, Daniel Fanego...

Pays basque, 1609. Six jeunes femmes sont arrêtées et accusées d’avoir participé à une cérémonie diabolique, le Sabbat. Quoi qu’elles disent, quoi qu’elles fassent, elles seront considérées comme des sorcières. Il ne leur reste plus qu’à le devenir…

Disponible DVD/Blu-Ray depuis le 7 décembre 2021(Blaq Out)

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