RENCONTRE AVEC ARMANCE DURIX

Jeudi 25 novembre 2021, Armance Durix, cheffe opératrice son de vingt-quatre ans reçoit le Prix de la jeune technicienne de cinéma pour son travail sur le premier long-métrage de Noémie Merlant, Mi iubita, mon amour. Créé cette année par la CST, afin d'œuvrer pour l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein du cinéma, il récompense une cheffe de poste de moins de trente-cinq ans parmi les films en compétition à Cannes. Elle n’était que trois à pouvoir concourir nous a appris Claudine Nougaret, Vice-Présidente de la CST, pendant la cérémonie. Nous avons eu le plaisir de nous entretenir avec la première récipiendaire de ce prix, entre deux coupes de champagne, pour nous parler de son émotion face à cette récompense, de son importance dans l’industrie et du tournage du film. 

Pour commencer, voulez-vous nous parler un peu de votre parcours professionnel ?

Armance Durix : Après le Bac, j’ai été prise dans un BTS audiovisuel mais je ne savais pas exactement ce que je voulais faire. Ma carrière ne m’est pas apparue tout de suite. J’aimais beaucoup la musique, j’avais fait une option cinéma au lycée, le BTS me paraissait logique à l’époque. J’ai été prise à Roubaix, où j’ai effectué deux années dans la section “son”. Ça pouvait m’ouvrir des portes un peu partout : la post-production, les tournages, la radio, la télévision etc… Ce n’est pas du tout ciblé uniquement pour le cinéma. Mais je ne savais toujours pas vers où me tourner, ce qui me plaisait vraiment. Je ressentais le besoin de faire des stages, pour avoir du concret. Mon premier stage était sur une série, à Paris, pendant un mois et demi. Puis, après ce stage, la perchewoman me rappelle pour me proposer un film. J’étais impatiente de découvrir un long-métrage ! L’équipe était jeune, c’était le premier film de Marie Monge et l’expérience m’a confortée dans ce choix de la perche et du son. J’ai ensuite fait du documentaire au Togo avec une amie. J’ai adoré le fait d’être entièrement en charge du son, même si nous n’avions pas beaucoup de moyens. S'est ensuite posé la question de mon avenir. Je me sentais jeune, j’avais vingt-et-un-an. Je ne sais pas … Je pense que je me sentais trop jeune pour véritablement me lancer dans une carrière. J’ai donc tenté l'INSAS à Bruxelles, une école beaucoup plus accès sur le cinéma que mon BTS. J’ai été prise rapidement mais un problème est vite apparu. J’avais enchaîné beaucoup d’expériences professionnelles et je revenais à de la théorie… J’ai effectué ma première année dans le doute et durant ma deuxième année, Noémie Merlant m’a téléphonée pour me proposer d’être cheffe de poste sur Mi iubita, mon amour. La surprise était totale ! C’était la première fois où j'étais en charge du son sur un film où ce n’est pas un ou une de mes potes à la réalisation [rires]

D’après ce que j’ai compris, c’était une petite équipe durant le tournage ?

A.D : Ah oui, il y avait Evgenia Alexandrova à l’image, c’était aussi son premier long ! Elle avait également une assistante en Roumanie pour l’aider à porter le matos, à changer les optiques. Et moi au son, où je perchais et je modulais en même temps, je posais les HF [micro haute-fréquence], etc … Et c’est pratiquement tout. L’expérience a été intense mais bénéfique je pense. Après le tournage, je n'ai finalement pas terminé l’INSAS. J’ai été rappelée pour d’autres projets, puis il y a eu le confinement, ce qui a signé mon arrêt définitif des études. Je suis plutôt contente de ce parcours, maintenant je bosse en Belgique et je n’arrête pas !

« C’est un prix qui a été créé parce qu’il existe encore des inégalités. J’espère que c’est un prix qui ne durera pas trop dans le temps, cela voudra dire que l’on aura avancé »

ARMANCE DURIX

Est-ce que le prix de la jeune technicienne ne vient pas confirmer ce choix d’arrêter vos études et de continuer une carrière, en tant que cheffe de poste ? 

A.D : Carrément ! C’était une grosse surprise pour moi ce prix ! Parce que je me sens encore très jeune et que je ne pensais pas gagner des prix maintenant. Rien que d’aller à Cannes était pour moi une grosse récompense du travail fourni. Ça me rassure et ça me donne de la confiance pour être cheffe de poste dans le futur, ce qui n’est pas toujours évident quand tu sors à peine d’une école, surtout après la pandémie. Il n’y a pas beaucoup de meufs dans le son, même si on en voit de plus en plus. Cheffe opératrice son est un métier différent de perchewoman mais ce sont deux métiers que j’affectionne beaucoup et pour l’instant, on me propose un peu des deux.

« Je pense qu’avec ce prix, Claudine [Nougaret] avait envie de crier à la profession que notre présence dans le monde du cinéma est importante. Que l’on existe et que non, nous n’avons pas besoin de prouver plus que les autres notre valeur. Que l’on mérite des prix, nous aussi »

ARMANCE DURIX

C’est ce soir que vous allez recevoir ce prix, quelle est votre émotion par rapport à cela ? C’est un tout nouveau prix et vous êtes la première à le recevoir. Il peut inciter des jeunes femmes à se lancer comme vous ?

A.D : Je suis vraiment très touchée ! Si je dois choisir une émotion, je pense que c’est la fierté qui viendrait en premier. Quand on travaille dans la technique, on est dans l’ombre surtout dans le son, où notre travail est invisible. C’est un prix qui a été créé parce qu’il existe encore des inégalités. J’espère que c’est un prix qui ne durera pas trop dans le temps, cela voudra dire que l’on aura avancé. Entre temps, oui j’espère qu’il pourra inciter des jeunes femmes à se lancer et à ne pas avoir peur. Que l’on peut tout à fait être cheffe de poste avant trente-cinq ans. Parce que maintenant, on sait qu’elles existent !

On a l’impression, quand on le voit de l’extérieur, que sur les tournages et dans le cinéma, il existe une tradition : les postes importants ne peuvent être accessibles qu’après un certain nombre d’années d'assistanat. Est-ce qu’il y a un vent de changement ? Comment vous le ressentez de l’intérieur ? 

A.D : Oui ce système existe encore. Après je pense que les parcours sont assez différents, selon les projets et l’argent qu’il y a dessus. Si, dès la fin des études on est pris sur des films à gros budgets, il faudra passer par toutes les étapes, de 3ème assistant·e jusqu’en haut. Mais on peut tout à fait commencer par des courts métrages en tant que chef·fe de poste jusqu’à ce que les cinéastes réalisent leur premier long et t’embarquent dans l’aventure. 

Vous me disiez tout à l’heure que vous aviez travaillé dans le documentaire, c’est justement là et dans les films indépendants que l’on retrouve le plus de réalisatrices et de techniciennes.

A.D : Oui bizarrement c’est dans les films avec peu de moyens ! [rires] Quand il n'y a pas de budget, on est presque obligé de prendre des jeunes, ils sont moins chers. La hiérarchie fonctionne avec le budget. Blague à part, les technicien⋅nes avec beaucoup d’expériences ne peuvent ou ne veulent pas accepter les conditions parfois extrêmes de ces tournages. Puis je pense que, quand ce sont des réalisateurs ou des réalisatrices qui tournent pour la première fois un long, il y peut-être moins de pression quand tu sais que ton équipe est dans le même cas de figure, je ne sais pas. Pour Mi iubita, mon amour, nous sommes parties bénévolement en Roumanie, les financements sont venus après. Mais au final, cela veut aussi dire que notre place est importante avec la réalisatrice. Une confiance est obligée de s’installer. Noémie [Merlant] n’a pas forcément pu regarder toutes les prises, elle nous faisait totalement confiance à Evgenia et moi pour lui dire si une autre prise était essentielle ou si on pouvait enchaîner sur la suite. 

Mi iubita, mon amour de Noémie Merlant ©Tandem Films

C’est intéressant parce qu’on a tendance à penser que celui ou celle qui réalise possède l’unique regard sur le film, alors que c’est oublier l’ensemble des métiers qui l’entoure, surtout l’image et le son, deux parties très importantes dans une mise en scène.

A.D : Exactement ! Sur le tournage, je n’avais pas de regard directement sur le cadre mais j’étais là pour assurer les raccords entre les prises. Il y avait pas mal d’impro, Noémie [Merlant] est quelqu’un qui rebondit très facilement. Face à la difficulté, elle avait toujours des solutions. S’il commençait à pleuvoir au cours d’une scène, moi je m’arrachais les cheveux parce que le son ne sera pas raccordable avec les autres prises mais elle nous disait « ce n’est pas grave, on va jouer la pluie »[rires] En amont, nous avions parlé de l’ambiance, du village, comment faire exister cet endroit dans l’habillage sonore, comment rendre palpable les lieux. J’avais une liberté totale sur cet aspect du film. 

On dit souvent à propos des métiers où il y a une majorité d’hommes, qu’en tant que femme il faut travailler dix fois plus qu’eux. Qu’en est-il aujourd’hui à votre avis ?

A.D : Je crois que l’on ressent toujours autant cette pression, quel que soit le métier. Il faut se donner plus, prouver sa valeur, encore et encore. Je pense qu’avec ce prix, Claudine [Nougaret] avait envie de crier à la profession que notre présence dans le monde du cinéma est importante. Que l’on existe et que non, nous n’avons pas besoin de prouver plus que les autres notre valeur. Que l’on mérite des prix, nous aussi. Puis le métier bouge, évolue. On peut voir de plus en plus de femmes, assistantes ou cheffes op. J’aime bosser avec elles, j’aime m’entourer de femmes sur le plateau quand c’est possible. Un plateau de cinéma est un lieu où il faut se positionner, trouver sa place pour s’affirmer. Et cela peut être compliqué quand tu es une jeune femme entourée de quarante mecs. Les prix aident beaucoup à ça, à légitimer quelqu’un. 


Photo d'illustration : @CST Dounia Laggoun

Merci à Ophélie Surelle et à la CST

Au sein de notre 43ème épisode, nous avons rencontré Claudine Nougaret, technicienne de cinéma et vice-présidente de la CST :

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