MEDUSA - Anita Rocha da Silveira

Cri de guerre

Présenté à la Quinzaine des Réalisateurs en juillet l'année dernière, le deuxième long métrage de Anita Rocha da Silveira nous plonge dans un Brésil en proie à l'extrémisme religieux. Medusa reprend le célèbre mythe grec et l'habille d'une esthétique propre aux films de genre pour mieux sonder la dichotomie du groupe sororale évangéliste présenté dès les premières secondes du film.

Milice sororale

Le film débute par un visage puis un corps. Ce corps est désarticulé, le visage est à l'envers et déploie une ambiance malsaine. Le regard de la jeune femme scrute la caméra, son corps se meut en fonction de la musique. Ses gestes renvoient à ceux de Regan, la petite fille possédée du film de William Friedkin (L'Exorciste). La lumière en néon rouge et vert finit de poser l'atmosphère de film d'horreur. Mais la réalisatrice nous oblige à sortir des idées reçues et élargit son cadre. L'image que nous avons vues n'est qu'une vidéo Youtube que regarde une autre jeune femme pour contrer l'ennui dans son bus. Quand elle rentre chez elle, son regard empreint de terreur derrière elle appelle encore une fois aux idées reçues. Nous pensons tout de suite à une silhouette (ou plusieurs) masculine s’emparant de la rue et des ténèbres, prête à foncer sur sa proie. C’est au contraire un groupe de femme qui la suit et la terrifie. Collier de perle, sac à main de marque, cardigan rose pastel, des attirails associés à la féminité, où s’ajoute un accessoire singulier : un masque blanc pour protéger leur identité. 

Les têtes pensantes du groupe sont Michele et Mariana, deux femmes qui portent cette milice sororale sur leurs épaules. Michele, la blonde virginale, influenceuse catholique, donne des conseils à ses internautes pour faire un selfie tout en gardant sa foi en Dieu. Mariana, la brune aux yeux de braise, se donne comme mission de retrouver la pécheresse ultime, celle qui, par sa conduite décadente, à donner naissance à leur petite groupe et leurs actions, la nuit tombée, pour remettre les femmes sur le droit chemin. Deux têtes dans un même corps, celui de jeunes femmes interchangeables, conditionnées à devenir des bonnes épouses, adoptant ainsi les us et coutumes de leur milieu conservateur. Mais que se passerait-il si l’une d’entre elles se détachait du groupe pour revendiquer sa liberté ? 

Dualité

C’est Mariana que la réalisatrice décide de suivre dans les méandres de son enquête. Mariana qui, rien que par son prénom Marie-Anna, porte en elle une dualité dont elle ne pourra échapper. S'apparentant à l’Ève de cet univers (elle découvre la première ces curieuses affiches avec un serpent), elle va passer le virus de la connaissance et avec elle, un échappatoire aux chaînes qui retiennent toutes ces femmes.

La cinéaste met le thème de la dualité directement à l’intérieur de sa mise en scène. L’image est constamment déchirée entre une esthétique réaliste, et celle beaucoup plus graphique  de la lumière néon ; le vert représentant la religion et le rouge l’envie de liberté. Quand celle-ci arrive, le film se transforme en songe cauchemardesque, venant entourer le visage de Mariana tandis qu’elle avance dans son enquête. Anita Rocha da Silveira s’appuie sur une forte symbolique pour faire passer ses messages. On reconnaît le mythe de Meduse, cette gorgone devenue un symbole de puissance féminine terrifiant les hommes, mais aussi le mythe d’Adam et Ève. Ève qui porte en elle le sort de toutes les femmes parce qu’elle a succombé au désir de la connaissance. De ces mythes, la cinéaste s’en sert pour former une image forte, celle qui reste en tête.  Elle accentue les sensations de malaise, le jeu de lumière et les inspirations de films d’horreur pour atteindre le paroxysme de son propos : faire de Medusa un cri de guerre. 

Quand le fanatisme religieux rencontre l’ère des réseaux sociaux, cela donne Medusa, à la croisée des genres. La réalisatrice brésilienne utilise les codes horrifiques pour interroger le fanatisme et l’embrigadement grâce à la terreur de se voir retirer du groupe. Film-idée, Medusa déforme les mythes, déforme même son propre récit pour installer son atmosphère de fable, catalyseur de la plus puissante des émancipations. S’il n’est pas exempt de défauts, le film ne laisse cependant pas indifférent. 


Réalisé par Anita Rocha da Silveira

Avec Mari Oliveira, Lara Tremouroux, Bruna Linzmeyer, ...

Brésil, aujourd’hui. Mariana, 21 ans, vit dans un monde où elle doit être une femme pieuse et parfaite. Pour résister à la tentation, elle s’attelle à contrôler tout et tout le monde. La nuit tombée, elle se réunit avec son gang de filles et, ensemble, cachées derrière des masques, elles chassent et lynchent celles qui ont dévié du droit chemin. Mais au sein du groupe, l’envie de crier devient chaque jour plus forte.

En salle le 16 mars 2022

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