L'HISTOIRE DE MA FEMME - Ildikó Enyedi

Passion (pas si) simple

C’est l’histoire d’un naufrage. Celui d’un long-métrage qui avait tout sur le papier pour être un grand film. Une adaptation du roman culte de l’hongrois Milan Füst, signée de la réalisatrice Ildikó Enyedi, rassemblant un casting européen alléchant (le néerlandais Gijs Naber, Léa Seydoux, Louis Garrel, Jasmine Trinca, Sandor Funtek), dans l’Europe du début du XXe siècle. Entre le Paris des années folles et les voyages en cargo, le film faisait la promesse d’une rencontre entre Titanic et Gatsby le Magnifique. A la place, on assiste à un ratage en toute beauté. 

Jakob (la révélation Gijs Naber), solitaire capitaine au long cours de cargos, souffre de maux de ventre. Sur les conseils de son cuisinier, il décide de se marier, et le fera avec la première femme traversant la porte du restaurant où il est attablé. C’est alors qu’apparaît Lizzy (Léa Seydoux), jeune femme mystérieuse, qui accepte de se prêter à ce jeu de l’amour et du hasard. S’ensuivent plusieurs années de passion tourmentée, où chacun se ment, s’aime et se trompe, mais jamais au même moment. Disparu aussi vite qu’il était apparu, Dedin le dandy (Louis Garrel) concurrence Jakob dans le cœur de Lizzy.

A première vue, le souci majeur du film provient d’un manque de compréhension globale de ce qui s’y joue. Que veut Jakob ? Qui est vraiment Lizzy ? Pourquoi Jakob est-il lié à l’étrange Kodor (Sergio Rubini) ? Que de questions restées sans réponses, qui, au lieu d’entretenir le mystère, égarent le spectateur. Centré sur les va-et-vient entre les époux et les cheminements mentaux de son héros, L’histoire de ma femme épuise par son manque de fluidité. La division du film en sept chapitres, censée guider le spectateur, n’arrange rien. Lorsque la fin du film s’éclaircit et dévoile le sujet du film, l’histoire d’un homme profondément solitaire, tentant tant bien que mal de comprendre celle qu’il a épousée, et à travers elle, la vie, il est déjà trop tard. 

On serait susceptible d’opposer aux lacunes de scénario la maîtrise de la mise en scène. Certains plans de la réalisatrice sont splendides, comme des tableaux témoignant de la monotonie des voyages en cargo ou du bouillonnement sexuel du couple. Les soirées parisiennes et déguisées, la foule des opéras et des rues, les tenues légères et soyeuses nous transportent dans l’Europe du début du siècle dernier. Le travail admirable de la cheffe décoratrice Imola Láng restitue avec réalisme l’univers familier et nostalgique de Stefan Zweig et Sandor Marai. Grâce à Marcell Rév, directeur de la photographie d’Euphoria et Malcolm & Marie, la facture visuelle du film est sans doute son élément le plus réussi, où les intérieurs bourgeois, sombres et cossus, dénotent avec la lumière, unique, des cargos en pleine mer. Dommage qu’à d’autres moments, la caméra oscille, se rapproche des visages, filme des regards appuyés, des peaux qui se frôlent, bref des mouvements et plans qu’on a l’impression d’avoir vus mille fois. Dommage aussi que  la musique du compositeur Ádám Balázs soit utilisée à de mauvais endroits, comme pour combler un manque de tension latent. Dommage, enfin, que malgré un casting cinq étoiles, il semble manquer une direction d’acteurs efficace. Tous sonnent faux, sauf peut-être Gijs Naber, qui semble se débattre intérieurement pour sortir son épingle du jeu. 

Ce ne sont pourtant pas les débuts pour la réalisatrice hongroise. Racontant le destin de deux jumelles séparées au début du siècle dernier, son premier film Mon vingtième siècle avait remporté la Caméra d’or en 1989. Après plusieurs films et séries télévisées, Ildikó Enyedi reçoit l’Ours d’or en 2017 pour Corps et âme, sur la relation amoureuse entre deux collègues, se retrouvant toutes les nuits dans leurs rêves sous la forme d’un cerf et d’une biche. Malgré une carrière couronnée de succès, Ildikó Enyedi peine à convaincre avec son cinquième film. C’est d’autant plus regrettable qu’on attendait le nouveau film de la réalisatrice avec hâte depuis sa sélection à Cannes.


Réalisé par Ildikó Enyedi

Avec Léa Seydoux, Gijs Naber, Louis Garrel, Sergio Rubini ...

Jakob est capitaine au long cours. Un jour, il fait un pari avec un ami dans un café : il épousera la première femme qui en franchira le seuil. C’est alors qu’entre Lizzy...

En salle le 16 mars 2022

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