MURINA - Antoneta Alamat Kusijanović

Liberté, j’écris ton nom

Depuis 1978, indépendamment de la Palme d’or, le Festival de Cannes octroie une récompense, la Caméra d’or, pour le meilleur premier long métrage, toute compétition confondue. Cette année le jury, présidé par Mélanie Thierry, a décerné ce prix à Murina, film croate réalisé par Antoneta Alamat Kusijanović, en compétition dans la sélection de la Quinzaine des Réalisateurs.

Murène des mers

Une île calme et paradisiaque. Une maison proche de la plage. Une mer bleue azur. Le décor que nous présente la réalisatrice ressemble à s’y méprendre à celui de Mamma Mia. Cependant, il n’y aura pas de Meryl Streep et Pierce Brosnan chantant du ABBA. La dancing queen de Murina, pas encore dix-sept ans, s’appelle Julija et ne rêve que d’une chose : partir. Pourquoi vouloir quitter un lieu aussi idyllique, où le quotidien se forme à partir d’une seule tenue (le maillot de bain) et d’un seul élément (l’étendue de mer, à l’infini) ? Une île, on en a vite fait le tour, elle peut devenir une prison à l’air libre, sans possibilité de rejoindre la côte et la foule. Son geôlier prend les traits de son père, personnage tour à tour distant, imprévisible, doux comme un agneau puis menaçant, en une fraction de seconde. Javi, l’ami d’enfance de son père, venu passer quelques jours, devient sa seule porte de sortie. Bel homme de quarante ans, riche, il est à ses yeux le prince charmant et/ou le père de substitution parfait. Mais il est difficile de se dépêtrer d’une emprise psychologique, surtout quand elle fait partie intégrante de sa propre construction. 

Murina veut dire murène en croate, un serpent aquatique se cachant dans les crevasses, que l’on pêche à l’aide d’un harpon. Antoneta Alamat Kusijanović commence son film avec cet animal longiligne, pris dans les filets de Julija et de son père. La cadre s’intéresse à la jeune fille, s’intéresse à son point de vue et nous montre son vif intérêt pour des jeunes gens amaré⋅es pas loin de la plage, qui font la fête sur leur bateau. Mais la voix décidée de son père, lui gueulant des directives, l’empêche de rêvasser. On ne voit pas directement le visage de ce père autoritaire. Sa voix d’abord, sèche, dure. Son dos ensuite, Julija doit le suivre sans poser de question. Puis son caractère, grâce à une scène entre la jeune fille et sa mère, où il est demandé à Julija de ne pas le provoquer parce qu’elle “sait comment il est”. En apparence, Julija a tout pour être heureuse : une belle maison, de beaux parents, du temps libre et même un certain talent pour l’apnée sous l’eau. Mais l’île, magnifiée par la photographie d’Hélène Louvart, est un château fort, un lieu qu’elle ne pourra jamais quitter. Elle est telle une murène, tenu par un harpon (la magnifique affiche montre d’ailleurs la blessure qu’elle se fait au début du film, à cause de son père sous l’eau, métaphore de son emprise). Elle est telle une princesse, dans sa prison dorée, attendant que son prince vienne la libérer. Mais Javi, tout charmant qu’il est (flirtant même ouvertement avec la mère de Julija), n’est pas le prince de cette histoire, tout comme Julija n’est pas une princesse Disney. Malgré son envie de s’enfoncer dans ce rêve éveillé, dans cette utopie, la réalité la rattrape vite, personne ne pourra la libérer de son père, à part elle-même. 

La mer et la terre

Pour filmer cette lente émancipation, la cinéaste choisit de mettre en opposition la mer et la terre, la prison et la liberté. Les scènes sous l’eau, qui pourraient être synonyme d’enfermement sous pression, élargissent au contraire le point de vue. Julija nage avec grâce, ne fait plus qu’un avec la couleur bleue (couleur de son maillot de bain) et se mue en sirène. La mer est son élément, le maillot de bain sa seule armure contre les mots-poison de son père, qui glissent sur le tissu et ne pénètrent pas son envie d’émancipation. Sur terre, la couleur est plus orangée, le cadre (et son père) finissent toujours par l’enfermer dans une pièce. Elle ne doit pas prendre de place dans la mise en scène : ne pas parler, ne pas répondre, écouter les directives. Sur terre, Julija, qui est pourtant le personnage principal, doit se faire toute petite. Quitte à être poussée dans l’eau parce qu’elle n’a pas écouté l’autorité suprême. Quitte à être enfermée dans une cave comme punition d’avoir rêvé de partir.  

Antoneta Alamat Kusijanović signe un premier long métrage fort, une émancipation féminine au sein d’un paradis insulaire, véritable prison pour un esprit comme celui de Julija si vivace, si désireuse de parcourir le monde. La Caméra d’or 2021 est puissante et ne vous laissera pas de marbre.

MURINA a été découvert lors de la reprise de la Quinzaine des Réalisateurs au Forum des Images


Réalisé par Antoneta Alamat Kusijanović

Avec Gracija Filipovic, Leon Lucev, Cliff Curtis

Julija, une adolescente fougueuse, et Ante, son père autoritaire, vivent une existence tranquille mais isolée sur une île Croate. Alors qu’Ante tente de négocier un accord qui changera peut-être leur vie, la visite d’un vieil ami de la famille fait émerger des tensions. Julija entrevoit une opportunité dans la venue du visiteur et ces quelques jours portent la marque du désir et de la violence.

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