PICCOLO CORPO - Laura Samani
Nommer ce qui n’existe pas
Repérée en 2016 avec son court-métrage La santa che dorme, la réalisatrice italienne Laura Samani a fait du miracle la pierre angulaire de son cinéma, se positionnant à mi-chemin entre le rituel chrétien, la superstition populaire et le mysticisme païen. Avec son premier long-métrage Piccolo Corpo, elle s’empare d’un sujet historique et religieux, tragique mais passionnant : celui des enfants mort-nés dont l’âme serait partie errer dans les limbes, et dont les parents tentent de les ramener brièvement à la vie pour les baptiser, leur assurant une éternité au paradis. En replaçant ce sujet dans l’Italie alpine de la fin du XIXe siècle, Laura Samani nous délivre un magnifique conte glacial, où la mise en scène mystique et intemporelle appuie une réflexion sur le corps comme réceptacle du deuil, et sur la nécessité de nommer les choses pour les faire exister.
Imagerie du conte
Quelque part dans une Italie intemporelle, Agata (Celeste Cescutti, dans son premier rôle) accouche d’une fille mort-née ; malgré le refus de l’Eglise de la baptiser, elle s’oppose à l’idée que l’âme de son enfant parte errer dans les limbes. Après avoir entendu parler d’un sanctuaire qui pourrait lui permettre de ramener son enfant à la vie, quelques secondes, le temps de le baptiser et de lui donner un nom, elle se met en route vers les montagnes, et rencontre en chemin le mystérieux Lynx (l’incroyable Ondina Quadri, grande découverte du film) qui va l’aider dans sa quête.
Avec un récit hors du temps et hors du lieu, Piccolo Corpo adopte l’esthétique du conte folklorique : quête initiatique, personnages secondaires à la lisière du fantastique, importance de la transmission orale… Les emprunts mythologiques sont aussi présents : Agata embarque, tel Orphée sur le Styx, pour ramener son enfant d’entre les morts ; et son bref enlèvement pour être vendue à de riches propriétaires peut être vue comme une antichambre des Enfers. La musique, constituée de chants traditionnels a capella, et la photographie qui soigne les scènes d’intérieur comme des peintures (et certaines images aquatiques rappellent curieusement le final de La leçon de piano de Jane Campion), donnent au film un bel écrin mystique qui apporte une coloration douce à la dureté du récit et à la profonde tristesse de son final.
Le nouveau corps
« Ton corps finira par oublier » entend Agata, lorsqu’elle apprend que son enfant n’a pas survécu à l’accouchement. Tout au long de sa quête, elle porte le deuil de son enfant dans son propre corps, qui se manifeste par l’irruption du lait maternel qu’elle ne peut contenir, ou par le petit corps de l’enfant qu’elle porte avec difficulté sur son dos pendant son voyage. Ce n’est pas seulement le baptême de son enfant qui pousse Agata à entreprendre son voyage avec ténacité, malgré la faiblesse de son corps et le danger dans lequel elle s’engage ; c’est aussi le fait de nommer son enfant, qui lui donnera une existence propre et concrétisera la séparation des corps de la mère et de l’enfant. Entre Agata qui se bat pour donner un nom à son enfant, et Lynx qui brandit son nom comme définition de son identité choisie (et pour lequel le récit gardera jusqu’à la fin des parts d’ombre), l’acte de nommer est lourd de sens dans Piccolo Corpo puisqu’il est synonyme de création, et permet de mettre au monde ce qui, auparavant, n’avait pas d’existence.
Dans la quête d’Agata, le corps féminin devient aussi une marchandise : c’est le lait maternel pour lequel on tente de vendre Agata comme nourrice ; c’est la brigande qui se fend d’un cynique « ils nous prennent tout » à la vue d’Agata qui va être vendue et qui semble se reconnaître dans cette marchandisation du corps ; c’est sa chevelure, qu’elle donne en rétribution aux vieilles femmes qui l’ont accueillie, lorsqu’elle n’a plus d’argent pour les payer. Qu’il soit maternel ou non, le corps féminin est associé à la douleur, et il est filmé avec un parti pris de réalisme qui se fait politique dans les rares représentations de corps nus, et dans la démonstration de la douleur postnatale d’Agata.
Réalisé par Laura Samani
Avec Celeste Cescutti, Ondina Quadri, ...
Italie, 1900. Le bébé de la jeune Agata est mort-né et ainsi condamné à errer dans les Limbes. Il existerait un endroit dans les montagnes où son bébé pourrait être ramené à la vie, le temps d’un souffle, pour être baptisé. Agata entreprend ce voyage et rencontre Lynx, qui lui offre son aide. Ensemble, ils se lancent dans une aventure qui leur permettrait de se rapprocher du miracle.
En salle le 16 février 2022