ESCALE DOCUMENTAIRE - Kiffe ta race

Ouvrir les voix

Avec leur programmation « Escale » sur la plateforme Tënk, Rokhaya Diallo et Grace Ly, créatrices du podcast Kiffe ta race qui explore les identités raciales et leurs représentations en société, nous proposent 7 documentaires pour dialoguer sur la diversité des identités raciales en France, leur politisation, leur exploration intime, leur histoire familiale ou politique. Alternant les époques, les sujets et les mises en scène, ces documentaires nous dévoilent un large panel de sujets pédagogiques, en mêlant toujours les récits intimes à une approche collective de la construction des identités raciales en France.

De la diversité de ces œuvres, on retient avant tout une invitation à déplacer les regards, à changer d’angle dans les représentations des personnes racisées, pour sortir du sensationnalisme ou du grossier, et ramener au centre les récits relégués à la marge. Retour sur trois œuvres d’hier et d’aujourd’hui, qui laissent la place à la parole intime, à l’amour ou à la colère, et qui nous invitent à réfléchir et dialoguer, loin de la furie médiatique actuelle.

Clichy pour l’exemple – Alice Diop, 2006

Après les émeutes de 2005 qui ont fait suite à la mort de Zyed Benna et Bouna Traoré, la réalisatrice Alice Diop, alors à ses débuts, place sa caméra dans les logements de Clichy-sous-Bois pour sonder les différentes sources de mal-être, et montrer la violence sociale ignorée par la presse et les politiques. En prenant pour sujet une jeunesse tant fantasmée lors des émeutes, elle nous invite à changer d’angle pour mettre des images sur les origines de la colère collective. De l’insalubrité des logements à un système scolaire perpétuant les inégalités et à l’impossibilité d’accéder à un emploi, en passant par l’isolement géographique qui coupe les liens avec la capitale, Alice Diop nous fait surtout ressentir un abandon assourdissant, avec une réalisation qui montrait déjà la finesse de son écriture : faire un pas de côté, changer d’angle de représentation, pour montrer son sujet sous un jour plus intimiste et dévoiler les douleurs invisibles.

Identités voilées de Sonia Kichah (c) Tënk

Identités voilées – Sonia Kichah, 2004

Suite à la loi de 2003 sur le port ostensible de signes religieux à l’école, la réalisatrice de documentaire Sonia Kichah suit et interroge quatre jeunes femmes qui ont décidé de porter le voile. Dans l’intimité de l’entretien, Nassima, Khâdidja, Amina et Cindy se livrent sur le moment où elles ont choisi de porter le voile, sur la réaction souvent hostile de leurs parents, sur leur rapport intellectuel à la religion et sur leur invisibilisation en société. Le documentaire a beau dater de près de vingt ans, il n’a pas pris une ride, tant il témoigne encore de la profonde obsession pour la figure de la femme voilée, point névralgique de l’islamophobie en France depuis près de quarante ans. En redonnant à ces quatre jeunes femmes une parole confisquée, en leur laissant le temps d’exprimer leur volonté et leur cheminement intellectuel, Sonia Kichah désarmait déjà en 2004 la rhétorique islamophobe sous couvert de lutte pour l’émancipation féminine, en présentant des femmes voilées combattives, en mouvement, et dotées d’un libre-arbitre indéniable.

Les rivières – Mai Hua, 2019

Lorsque sa grand-mère vietnamienne revient en France, Mai Hua, mère divorcée de deux enfants, s’interroge sur sa généalogie féminine pour tenter de défaire une malédiction familiale qui la hante. La cohabitation entre elle, sa mère et sa grand-mère sera l’occasion de revenir sur les conflits générationnels, les violences invisibles du passé et les rancœurs étouffées. Avec le croisement de récits profondément intimes, où résonnent la violence familiale, les abus et la difficulté de se construire entre son pays d’origine et son pays d’accueil, la réalisatrice plonge dans la mémoire de sa famille pour sonder les origines de cette malédiction.

Dans une réalisation teintée de mysticisme, à laquelle on pourra reprocher certaines longueurs qui tendent à perdre de vue le sujet, Mai Hua offre un portrait tendre des femmes de sa famille, pétri d’un amour douloureux mais sincère. Au long de son enquête généalogique, elle tente de répondre à cette question qui nous hante : comment s’affranchir des traumatismes de nos ancêtres, tout en revendiquant notre héritage familial ?


Les films sont à voir sur la plateforme Tënk

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ENTRETIEN AVEC CLARA ROQUET - Libertad