BABYSITTER- Monia Chokri

Maternité, égalité, sororité

Trois ans après La Femme de mon frère, petit bijou d’humour québécois présenté à la sélection Un certain Regard à Cannes, Monia Chokri confirme qu’elle est une réalisatrice des plus intéressantes actuellement avec son nouveau film Babysitter. Un conte étrange et drôlatique qui raconte l’histoire de Cédric et Nadine, couple de trentenaires fraîchement devenus parents vivant dans un charmant pavillon de banlieue. Obligé de prendre une pause professionnelle après avoir agressé sexuellement une journaliste télé, Cédric (Patrick Hivon) entreprend un processus de déconstruction en compagnie de son frère Jean-Michel, féministe et totalement conscient des enjeux de la démarche. Sa femme Nadine (jouée par la réalisatrice), en plein post-partum, feint de reprendre le boulot en passant ses journées à glander à l’hôtel. Dépassé par son rôle de père, Cédric engage une babysitter, Amy (Nadia Tereszkiewicz), aux mystérieux pouvoirs sur les bébés. Traditionnellement objet de tous les fantasmes, la babysitter de Monia Chokri n’instaure pas la zizanie, mais rétablit au contraire l’harmonie au sein de la cellule familiale.

La scène d’ouverture, suante et braillarde, donne tout de suite le ton. Cédric et deux amis assistent à un match de MMA tout en commentant la photo d’une femme sur leur téléphone, faisant réagir deux spectatrices assises en-dessous d’eux. Composée de gros plans serrés sur les visages suintants, les fesses et poitrines des voisines, et sur les corps musclés des catcheurs, le tout dans un montage rapide, cette scène emploie une caméra partiellement subjective afin de montrer la réalité du male gaze et d’en prouver, de par son insistance, son imbécillité la plus totale. Nombre d’autres détails significatifs parsèment le film, qui feront exulter spectatrices et spectateurs. D’autant plus quand ils s’apercevront qu’une cinéaste s’empare – enfin ! – avec acuité et ironie de ces thématiques, si rarement traitées. Comme cette scène de restaurant où la serveuse Micheline n’est visible que par sa poitrine et son postérieur mais dont le visage demeure invisible ; comme cette obsession de Cédric pour « les boules » (les seins en québécois) qu’il tente d’expliquer par l’analyse freudienne ; comme cette scène de drague lourde entre Jean-Michel et Amy, qui voit clair dans son jeu. 

Dans cette adaptation d’une pièce de Catherine Léger, dramaturge québécoise, la réalisatrice pose des questions, sans apporter de réponse définitive, ne faisant jamais de Babysitter un film à message. La vraie ingéniosité du film vient du fait que Chokri s’empare des sujets passionnants et on-ne-peut-plus-actuels que sont le male gaze, la déconstruction, le consentement, la misogynie, l’intériorisation inconsciente d’attitudes abusives, l’égocentrisme masculin… Bref le patriarcat en prend un coup, mais toujours avec subtilité, inventivité et humour – québécois qui plus est. L’image colorée et chatoyante en fait un conte pop et acidulé, farce grotesque et amusée, regorgeant de gags et trouvailles visuelles. Prenant pied dans une banlieue très Desperate Housewives, le film prouve une nouvelle fois la maîtrise esthétique totale de Monia Chokri sur son univers, inspirée autant par l’étrange Les Lèvres rouges d’Harry Kümel que par les magnifiques Trois femmes de Robert Altman. 

Heureusement, la réalisatrice ne tombe jamais dans un manichéisme qui se serait avéré pénible. Chaque personnage a plus d’un tour dans son sac et sait étonner, décevoir, surprendre, amuser. Animée du désir de redonner au personnage de la babysitter ses lettres de noblesse : « C’est un métier souvent dévalorisé, alors que c’est une lourde responsabilité que de s’occuper d’enfants. (...) J’ai voulu la regarder autrement, faire d’Amy un sujet, un personnage actif, qui met les autres personnages face à leurs contradictions », Monia Chokri propose un personnage de babysitter envoûtant, féministe et réconciliateur. A mille lieux de la terrorisante Baby-sitter de McG (2017) et de la bienveillante Mary Poppins, Amy est incarnée avec justesse et espièglerie par Nadia Tereszkiewicz, découverte en 2019 dans Seules les bêtes et que l’on retrouvera prochainement dans Tom de Fabienne Berthaud et Les Amandiers de Valeria Bruni-Tedeschi. 

En guise de conclusion, le film donne une leçon de sororité, où mère et babysitter ne sont jamais ennemies, et où les jeunes filles en patin à roulettes triompheront du machisme ambiant. Hommes sensibles, s’abstenir. 

Notre interview de Monia Chokri à retrouver dans le numéro 2 de Sorociné


babysitter Monia Chokri

Réalisé par Monia Chokri

Avec Monia Chokri, Patrick Hivon, Nadia Tereskiewicz…

Suite à une blague sexiste devenue virale, Cédric, jeune papa, est suspendu par son employeur. Pour se racheter, il va avec l'aide de son frère Jean-Michel, s'interroger sur les fondements de sa misogynie à travers l’écriture d’un livre. De son côté, sa femme Nadine en proie à une dépression décide d'écourter son congé maternité. L’arrivée dans leur vie d’une baby-sitter au charme espiègle et envouteur, va chambouler leur existence.

En salle le 27 avril 2022




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