DRIVE-AWAY DOLLS - Ethan Coen
Only Gode Forgives
Un homme hétéro peut-il réaliser un film lesbien crédible ? Ou bien devrait-il laisser cette opportunité à une lesbienne qui rêve de ce projet depuis toujours ? Ethan Coen et Tricia Cooke tentent de couper la poire en deux avec Drive-Away Dolls, une comédie à la frères Coen avec supplément lesbiennes en plein émoi qui aurait dû sortir il y a bien longtemps.
À la veille du nouveau millénaire, deux amies lesbiennes tentent de panser leurs blessures d’amour plus ou moins récentes en partant en road trip pour Tallahassee au moyen d’un drive-away, système peu coûteux de retour de véhicule à son agence de location. À la suite d’un malentendu, elles se retrouvent à transporter sans le savoir des marchandises susceptibles de provoquer un scandale politique. Deux criminels malhabiles tentent alors de les rattraper avant qu’elles ne découvrent les biens sensibles.
La charismatique Jamie (Margaret Qualley) et la réservée Marian (Geraldine Viswanathan) forment un duo scénaristique en béton qui rappelle Thelma et Louise, Romy et Michelle ou encore Ilana et Abbi de Broad City. Mais version lesbienne, hein, vous n’avez pas oublié ? Les deux amies lesbiennes, donc, vont s’adonner à des activités lesbiennes pendant leur voyage initiatique, à savoir visiter des bars lesbiens, flirter avec des femmes, finir par coucher ensemble et… pas grand-chose d’autre.
Même le MacGuffin (un objet prétexte au développement de l’intrigue), qui prend la forme d’un gode moulé sur le sexe du futur sénateur, paraît surtout être une occasion de montrer comment nos lesbiennes utilisent cet objet, tourné en symbole amusant de l’utilité limitée des hommes. On comprend la blague, mais on aurait préféré voir davantage les protagonistes en criminelles improvisées dans ce complot tiré par les cheveux, façon Brad Pitt et Frances McDormand dans Burn After Reading. Comme le dit si bien Kristen Stewart dans une interview sur le film de castagne Love Lies Bleeding, « les gays font un tas d’autres choses que de sortir du placard ». Jamie et Marian représentent un lesbianisme joyeux, mais leurs personnages pourraient un peu plus dépasser leur sexualité.
Drive-Away Dolls est un projet de longue haleine pour Tricia Cooke, monteuse régulière des frères Coen (The Big Lebowski, O’Brother) et scénariste. Elle et Ethan Coen sont en mariage libre depuis des années et Cooke se définit comme lesbienne. Drive-Away Dolls, de son titre provisoire Drive-Away Dykes (traduire : le drive-away des gouines) est le film d’exploitation lesbien qu’elle n’a jamais pu faire, mais dont elle rêve depuis 25 ans. Sauf que l’idée est là depuis trop longtemps et elle a eu le temps de prendre la poussière. On se demande d’ailleurs pourquoi elle a choisi de situer l’intrigue en 1999, à part pour la nostalgie.
On pardonnerait les gimmicks de montage un peu forcés, le dénouement gros comme un camion et le martelage de blagues quasi puériles sur les godes si le film avait été tourné en 1999 avec un budget limité. Il aurait même pu devenir un classique camp, comme les films qui ont très certainement inspiré la scénariste. Drive-Away Dolls tombe à côté de la plaque, car il est tiraillé entre ses deux créateur·ices : l’une veut revivre un passé disparu et l’autre veut actualiser son cinéma en abordant des sujets nouveaux pour lui.
Souvent, les films queer réalisés par des hommes hétéros sont meilleurs quand ils sont accidentels. Il est beaucoup plus savoureux de trouver des sous-textes homoérotiques à Thelma et Louise (aussi scénarisé par une femme) que d’être témoin d’un film qui assume sa queerness mais ne sait pas aller au-delà. Morale de l’histoire : ne confiez jamais vos rêves à un homme, le résultat est trop hasardeux.
NOÉMIE ATTIA