L’Étrange Festival 2023 : the world’s wildest cinema !
Parmi les nombreuses et très éclectiques œuvres déjà présentées à la 29e édition de L’Étrange Festival, quelques films peuvent être évoqués, parce qu’ils mettent en personnage, un talent ou des thématiques féminines et/ou queers.
Projeté dans le cadre de deux avant-premières, The Sweet East, réalisé par Sean Price Williams et déjà remarqué à la Quinzaine des réalisateurs pendant le dernier Festival de Cannes, suit les déambulations d’une jeune femme sur la côte est des États-Unis. Lillian, étudiante fugueuse, s’adapte et se modèle au gré de ses rencontres : des activistes d’extrême-gauche, un suprémaciste blanc obsédé par Edgar Allan Poe… Si l’on peut craindre au départ un film démodé, trop obsédé par Larry Clark sans se soucier de cet héritage déjà passé entre-temps, The Sweet East se distingue rapidement du poncif. Le ton se situe quelque part entre un épisode incongru de Strip-tease, une étude sociologique absurde et un étrange poème faisant du pire criminel un héros sensible. La beauté victorienne de Talia Ryder (sublimée par la caméra) efface la méfiance et les barrières d’autrui, qui construisent en elle le fantasme de dérives ou sous-cultures américaines. Le film ne se perd pas pour autant dans le mysticisme parfois paternaliste de la muse : au contraire, c’est Lillian qui observe, c’est elle qui utilise autrui pour se construire. La narration est très habile puisqu’on se laisse emporter dans une comédie dramatique aux allures noblement romantiques, un road-movie atypique.
Toujours dans la catégorie du road-movie, mais dans un registre très différent, The Survival of Kindness, réalisé par Rolf De Heer, se déroule dans l’Australie d’un futur dystopique. Une femme, probablement esclave de tortionnaires, est déposée dans un désert, dans une cage. Elle parvient à s’échapper et traverse le tableau de désolation qu’est devenue l’humanité décimée par une mystérieuse maladie. Les survivants ne parlent pas la même langue, ne s’aident jamais, la violence règne. À la proposition radicale (pourtant clairement réfractaire à l’ultraviolence), souvent hermétique, se superpose un rythme parfaitement maîtrisé, qui suffit à happer dans l’observation quoiqu’un peu légère de ce triste spectacle.
Enfin, le titre Scorpio Rising est revenu plusieurs fois en une seule journée. Le film expérimental culte de Kenneth Anger, avec ses motards fétichisés à la Tom of Finland (illustrateur d’icônes homoérotiques), était présenté dans le programme Chaos Reigns avant d’apparaître dans le documentaire Scala!!! Or, the Incredibly Strange Rise and Fall of the World's Wildest Cinema and How It Influenced a Mixed-up Generation of Weirdos and Misfits.
Entre 1978 et 1993, le Scala était une salle de cinéma, mais aussi lieu londonien alternatif pour la culture punk, la communauté LGBTQ+, les fêtards cherchant un coin sombre pour dormir quelques heures… Dans le documentaire d’Ali Catterall & Jane Giles, Bergman côtoie Lou Reed, John Waters, des amphétamines et le fan-club de Laurel et Hardy. L’Étrange Festival n’a jamais vu sa ligne éditoriale aussi bien représentée qu’à travers les idées du Scala. En outre, l’expérience sensorielle et cocasse est contagieuse, plongeant la spectatrice et le spectateur du documentaire dans des extraits de films, musiques et iconographies d’une époque, tout en lui parlant des propres spectatrices et spectateurs du Scala.
L’Étrange Festival se poursuit jusqu’au dimanche 17 septembre au soir. Le programme et les informations pratiques sont toujours disponibles sur le site de l’événement parisien.
Manon FRANKEN