LE CIEL ROUGE - Christian Petzold

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L’éternel féminin 2.0

Ours d’argent à la Berlinale 2022, Le Ciel rouge n’est pas l’étude de caractères éclairée qu’il se pique d’être. Passe encore que son protagoniste soit détestable de bout en bout, son scénario inventif comme un disque rayé, sa fin dramatique à l’excès. Le plus embêtant n’est pas là. Le plus embêtant, c’est le surplomb moralisateur que Christian Petzold s’autorise vis-à-vis de son personnage, comme si lui-même en avait fini avec le male gaze.

La proposition est quasi provocatrice : quatre hommes et une femme dans une maison isolée au milieu des bois. Pareil film, aujourd’hui, s’accompagne évidemment d’une promesse - celle d’une vigilance à l’endroit des relations hommes-femmes. Le problème, c’est qu’elle n’est tenue qu’en apparence. En apparence, Nadia est reine dans cette maison qui n’est pas la sienne, où elle passe comme un courant d’air, faisant l’amour à grands cris, jusqu’à chasser le garçon de son territoire. En apparence, l’insistance du film sur le désir de Léon, qui scrute, jauge, juge et surveille Nadia en cachette, est si lourde qu’elle vaut pratiquement condamnation. Les intentions sont donc bonnes, mais quel bien peuvent-elles nous faire si le film les contredit une à une ? 

D’abord, Christian Petzold est moins différent qu’il n’y paraît de son protagoniste. L’un et l’autre ne sont que les deux faces d’un même rapport aux femmes - Léon le mépris, Petzold la complaisance. Rappelons que le réalisateur s’est fait connaître avec des portraits de femmes (Barbara, Phoenix, Ondine), et que cette fascination pour la Femme majuscule, regardée un peu par en dessous, entretenue dans son mystère, à la Truffaut, sert d’antichambre à la misogynie la plus frontale. L’âge des muses est dépassé. Avançons.

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La construction vieillotte de Nadia aurait pu être sauvée par la confrontation de Léon à ses travers. Or le film, c’est bien son paradoxe, traîne ce dernier d’échecs en humiliations sans que jamais ses biais misogynes ne soient mis en cause. En définitive, Léon n’est véritablement mis à mal que comme écrivain raté, incel misanthrope, et parce qu’il est incapable de rejoindre les autres sur la rive des gens heureux. Par chance, il peut compter sur Nadia et son syndrome de l’infirmière… 

Le comble de l’agacement est atteint lors d’une scène de révélation édifiante, où le film se félicite de nous apprendre que Nadia n’est pas la poupée pour laquelle Léon l’avait prise, après avoir brouillé les pistes avec une application douteuse. Comme si on ne savait pas qu’une femme pouvait être coquette et doctorante, vendeuse de glaces et amatrice de poésie ! Au fond, Le Ciel rouge n’est pas un si méchant film, mais il pose une question qui le dépasse : que faire des réalisateur.rice.s qui, armé.e.s de bonne volonté, persuadé.e.s d’être plus déconstruit.e.s ou plus futé.es que les autres, font le jeu du male gaze en pensant causer sa ruine ? Saluer le geste ? Autant féliciter le tireur qui, ayant atteint sa cible d’une balle dans le dos, se précipiterait à son secours. Mais alors quoi ? Les années passent, et l’on arrive à bout de patience.

CLEMENTINE HORIOT

Le Ciel rouge

Réalisé par Christian Petzold

Écrit par Christian Petzold

Avec Thomas Schubert, Paula Beer, Langston Uibel

Allemagne

Une petite maison de vacances au bord de la mer Baltique. Les journées sont chaudes et il n'a pas plu depuis des semaines. Quatre jeunes gens se réunissent, des amis anciens et nouveaux. Les forêts desséchées qui les entourent commencent à s'enflammer, tout comme leurs émotions. Le bonheur, la luxure et l'amour, mais aussi les jalousies, les rancœurs et les tensions. Pendant ce temps, les forêts brûlent. Et très vite, les flammes sont là.

En salles le 6 septembre 2023.

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