EVERYTHING EVERYWHERE ALL AT ONCE - The Daniels
Imaginons une multitude d’univers, progénitures de nos choix, rejetons de possibilités non explorées, de capacités oubliées. Au centre du multiverse d’Evelyn, on trouve la gérante d’une laverie, chinoise émigrée aux Etats-Unis.
Main character energy
Cette Evelyn est une femme sans cesse débordée, par ses obligations du quotidien comme sa nature impulsive. Son envie de régler tout rapidement cohabite mal avec sa difficulté évidente à se concentrer. Ce premier conflit, intérieur, est peut-être et même probablement lié à l’envie Daniel Kwan de traiter de son propre TDAH. Sans cesse agacée, stressée, Evelyn s’énerve sur son flegmatique mari et peine à entretenir une bonne relation avec sa fille, en raison de l’homosexualité de cette dernière. Si l’on se fie au pitch du film, on peut imaginer une mère soumise à une chargée mentale constante, qui ne prend plus le temps d’être à l’écoute. Ce n’est pas faux mais ce serait réducteur de limiter Evelyn à cela.
Le personnage dépasse les marges du cahier des charges de la victime qui devient badass. Avant d’être une maman en détresse, Evelyn est une « mégère » (notez bien les guillemets) perdue entre l’angoisse face aux impôts et la vacuité de l’existence. C’est une anti-héroïne qui n’attire, dans un premier regard, pas franchement la sympathie. Mais les réalisateurs osent l’embrasser pleinement, jusqu’à utiliser le chinois dans la moitié des dialogues. Une fois totalement embarqué dans l’esprit qui semblait hermétique de cette femme un peu revancharde, ses mécanismes de pensée semblent plus clairs. Evelyn, aussi pudique soit-elle, tient à sa famille et, en trouvant un regard entier sur ses multivers, elle interroge son regard sur sa propre vie. Elle remarque enfin la souffrance de sa fille, ce qui amène naturellement le film à questionner sur les clefs du bonheur… Et c’est malheureusement le gros défaut du film puisqu’une fois l’enjeu dévoilé, la quête des protagonistes commence à s’étirer. Everything Everwhere All At Once va jusqu’à atteindre le fameux point de la lassitude, où l’alternance de scènes spectaculaires donne la sensation du magicien qui met de plus en plus de poudre aux yeux pour masquer ses tours.
Ce n’est pourtant pas le cas de l’œuvre de base, qui déborde de matière, s’illustrant surtout comme récit d’une femme qui retrouve son individualité, en répondant à des questions existentielles. Everything Everywhere All At Once lorgne allégrement du côté de Matrix, à la fois pour la multitude des univers, le corps régi par les pouvoirs de l’esprit, mais aussi les thématiques philosophiques. Les références cinématographiques ne s’arrêtent pas là puisqu’un des univers d’Evelyn est clairement inspiré d’un film de Wong Kar-Wai, dans son enjeu (un amour perdu) comme dans sa forme qui reprend des plans typiques du réalisateur Hongkongais. En accumulant les formes audiovisuelles, Everything Everywhere All At Once pioche aussi dans le clip, souligné par l’élément scénaristique qu’est la passion d’Evelyn pour le karaoké. Evelyn - interprétée par une Michelle Yeoh dont la persona fait miroir à l’individu qu’elle incarne - est mise en scène comme experte des arts martiaux, est une actrice, est une star qui s’attribue plusieurs identités pour montrer l’étendue de ses talents. Et, comme des clips qui s’enchaînent à la télévision, les univers passent de l’un à l’autre sans que l’héroïne ait le temps de souffler, à l’image de notre rapport actuel aux images. Everything Everywhere All At Once est un film de notre époque, sur notre époque. Il présente un personnage issu des réflexions actuelles sur le genre, à travers une mère face à son adolescente lesbienne. Il alterne sans cesse entre des images totalement différentes, comme un contenu qui ne cesse ne se renouveler, de façon aussi indigeste que fabuleuse.
Enfin, ces images questionnent sur le personnage dans son essence. Une quinquagénaire sino-américaine, patronne d’une laverie automatique qui fonctionne mal, ne coche pas la case du main character energy, soit la personnalité hors du commun, destinée à devenir tête d’affiche. Si elle ne croit pas eu elle, c’est aussi parce qu’Evelyn n’est pas l’archétype d’une superhéroïne et pourtant, elle le devient. Everything Everywhere All At Once est un peu un film sur un film dont on est le héros. Son rapport au personnage principal, autant par son interprète que par le concept du multivers individuel, et la façon dont il fait écho avec le spectateur est sans doute ce qu’il a de plus précieux. Le voir revient à regarder l’arc d’un jeu vidéo narratif dont les choix influent sur les évènements, l’expérience est étrange mais pas forcément déplaisante.
Malgré des lourdeurs scénaristiques, Everything Everywhere All At Once parle de notre époque et de nos rapports actuels aux images avec flamboyance. Il intègre, contre toute attente et avec un humour absurde, la dépression générationnelle des millenials, à un récit fantasque sur l’avenir de l’univers.
Ou de tous les univers, si vous préférez.