LÀ OÙ CHANTENT LES ÉCREVISSES - Olivia Newman
Quand Musso rencontre le cottagecore
Au commencement, il y avait un livre. Un best-seller, même, débarqué tout droit des Etats-Unis. Ecrit par Delia Owens, Là où chantent les écrevisses intrigue plus de 350 000 lecteurs qui s’arrachent un exemplaire en librairie. Il n’en faudra pas plus pour que des producteurs flairent la bonne affaire. Là où chantent les écrevisses, le film, se conçoit derrière la caméra de la discrète Olivia Newman, et sous l’égide de l’actrice et businesswoman Reese Witherspoon, qui en assure la production. A la bande-son, Taylor Swift, dont l’univers musical sied fort bien à l’ambiance bucolique du récit, délivre une chanson originale. Et, pour sceller la hype inéluctable, c’est une actrice montante qui est choisie pour le rôle principal : l’actrice britannique Daisy Edgar-Jones, merveilleuse interprète de Marianne dans la série non moins merveilleuse Normal People. Le succès commercial est inéluctable. L’ampleur du ratage cinématographique, un peu moins.
La boucherie s’ouvre sur un meurtre (un signe annonciateur, peut-être). Un jeune bourgeois est retrouvé mort près des marécages, et très vite, une suspecte s’impose : son ancienne amante, Kya, la mystérieuse « fille des marais ». Presqu’élevée par les loups, elle est méprisée par sa communauté et voit rapidement son procès virer au pugilat. Un ancien avocat choisit de reprendre du service pour plaider sa cause – mais on ne comprendra jamais pourquoi. Si cette palette de personnages paraît insipide à première vue, c’est qu’elle l’est. Chacun n’existe qu’à travers sa fonction narrative, du fils à papa tyrannique et grotesque au couple Noir au grand cœur qui n’existe que pour aider l’héroïne blanche.
Et quelle héroïne, d’ailleurs, d’une fadeur telle que rien ne peut la toucher. Le soleil pourtant vorace de la Caroline du Nord n’aura jamais entaché son teint d’albâtre, l’effort physique qui régit son quotidien, son corps gracile et frêle. Seule dans le marais, Kya réussit le tour de force de rester bien coiffée, bien épilée, et habillée avec soin. Ceux qui l’ont écrit la voulaient sauvage et puissante, mais n’en ont fait qu’une Ophélie mollassonne qui donne bien plus l’impression d’arpenter les tapis rouges que les profondeurs des marais du Sud. Mû par l’obsession de rendre toute femme désirable, Hollywood continue de produire à la chaîne des personnages féminins unidimensionnels qui défient les lois de la cohérence.
Avec tout ça, on en oublierait presque que Là où chantent les écrevisses est censé être un film d’époque, qui entrecroise plusieurs décennies. A nouveau, il y a de quoi rester de marbre face aux marqueurs historiques inexistants, la direction artistique beaucoup trop moderne et surtout les va-et-vient temporels de l’intrigue, obscurs et ambigus – la palme revenant aux multiples scènes de procès, dont on ne comprend ni l’enchaînement ni la raison d’être, étouffées par la lourdeur des flashbacks. Là où chantent les écrevisses se veut parler d’un ancien temps, mais à défaut d’honorer cet objectif, lui et sa morale nauséabonde sont d’un ancien temps. Vintage, non. Ringard, oui.