FARIO - Lucie Prost

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Comme un poisson dans l’eau

Le long-métrage de Lucie Prost est un premier film bourré de charme et étrange, mélange détonnant entre plusieurs genres, film de deuil virant au fantastique et portrait d’une jeunesse engagée mais paumée. 

Il est des films impossibles à résumer tant son auteur·ice emmène le spectateur à mille endroits, le fait passer par de multiples sensations, sans jamais donner l’impression de lui délivrer un message. Fario, de Lucie Prost, fait sans doute partie de ceux-là. Tentons quand même l’exercice : Léo, ingénieur trentenaire, est un fêtard installé à Berlin, fréquentant les teufs dans les hauts lieux de la capitale allemande et habitué aux coups d’un soir dans les toilettes. Mais ce soir quelque chose cloche chez lui : il n’arrive pas à bander ; manière pour la réalisatrice de bousculer dès le départ les codes de la masculinité. Une virilité fragilisée mais pas pour autant blessée puisque Léo – impeccable Finnegan Oldfield – en parle ouvertement avec ses copines allemandes. De retour chez lui dans le Doubs pour vendre ses terrains à une entreprise de forage spécialisée dans l’extraction de métaux rares, Léo retrouve sa mère, sa petite sœur et ses amis, tous engagés contre le nouveau projet de mine dans la région. Après un bain dans la rivière, où il remarque le comportement étrange des truites, Léo décide de mener l’enquête autour de ce projet hautement sensible. Voilà pour le pitch !

Quand un film à la narration classique prendrait alors le chemin d’un récit d’enquête aux allures de thriller, Fario nous emmène ailleurs. Certes, enquête il y a, mais le film raconte aussi une certaine jeunesse en quête de sens, écolo et déconstruite, qui cherche ses repères dans une société devenue inaudible à ses revendications. Le deuil, le suicide des agriculteurs, la pollution des sols, la lutte écologique, les drogues… Comme de nombreux premiers films, Fario balaye beaucoup de sujets en un temps record – 1 h 30 – mais c’est comme si Lucie Prost assumait de ne pas tout résoudre, d’effleurer ces sujets comme une manière de raconter la diversité d’un lieu concerné par de multiples problématiques souvent en contradiction. Surtout, elle raconte la complexité d’un être humain, partagé entre son passé et son présent, ses amis d’enfance et nouveaux compagnons de fête, ses parents et ses propres aspirations, telle une truite qui nage à vue. Car les truites, présentes dans le titre du film – une fario étant une truite sauvage –, sont le centre de toutes les attentions, comme symbole d’une pollution déjà présente et inévitable, mais aussi souvenir du père, qui les aimait même s’il participait à leur empoisonnement. C’est aussi la beauté de ce film que de s’intéresser aux impuissants habitants de cette rivière, sans jamais en faire un film moralisateur, Lucie Prost donnant vie (et pouvoir) à ces poissons pudiques. Par endroits, Fario penche même vers le fantastique, auquel la réalisatrice préfère le mot de « merveilleux », notamment lors des scènes de brume et d’obscurité, particulièrement réussies. L’image vaporeuse, encouragée grâce à l’utilisation de la pellicule, nous plonge dans une nuit où règne l’étrange et l’inquiétant, que ce soit dans la mine, la rivière ou dans un club branché, une parenthèse où la pression de la société n’a pas lieu d’être et où les imaginaires peuvent se libérer. 

C’est que la réalisatrice a une technique de travail particulière, partant d’un lieu – la vallée de la Loue, où vivait sa grand-mère – pour raconter une atmosphère, imaginer des motifs, avant d’écrire les dialogues et les situations. Ses films viennent des décors, qui sont le point de départ de ses scénarios, et qui dit lieu dit identité de territoire. Si Lucie Prost revendique l’inspiration de Petit paysan dans l’incursion du fantastique, son film rappelle aussi Langue étrangère de Claire Burger (sorti le 11 septembre), dans la représentation d’une jeunesse fêtarde et révoltée, qu’elle soit urbaine ou rurale, qui ne trouve de sens que dans la lutte. Quand ses deux courts-métrages Les Rosiers grimpants (2016) et Va dans les bois (2021) mettaient en scène des personnages féminins de 15 et 30 ans, Lucie Prost s’intéresse ici à une masculinité à déconstruire, obligée d’assumer ses fêlures. Dans un rôle plus silencieux qu’à l’accoutumée, Finnegan Oldfield incarne magnifiquement cette masculinité qui se cherche, entouré de l’excellente Megan Northam et du toujours lunaire Andranic Manet. Un premier film qui peut sembler fourre-tout par moments mais réalisé avec sincérité et originalité, où surgit l’humour et le beau sans crier gare.

ESTHER BREJON

Fario

Écrit et réalisé par Lucie Prost

Avec Finnegan Oldfield, Megan Northam, Florence Loiret Caille, Andranic Manet

France, 2024

Léo, jeune ingénieur brillant et fêtard qui vit à Berlin, doit rentrer dans son village du Doubs pour vendre les terrains agricoles de son père à une entreprise de forage de métaux rares. Il retrouve sa mère, sa petite sœur, ses copains et son cousin, en désaccord avec le projet de mine. Rapidement, Léo observe d’étranges comportements chez les farios, ces truites qui peuplent la rivière. Il se lance alors dans une enquête hallucinée…

Sortie le 23 octobre 2024

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