​​FESTIVAL DE GÉRARDMER : nos 5 coups de cœur

© Bleecker Street

Sorociné a bravé le froid pour aller à la rencontre de l’horreur et du fantastique au Festival de Gérardmer qui s’est tenu du 29 janvier au 2 février. Pour cette édition 2025, le jury longs-métrages présidé par la comédienne Vimala Pons a décidé de distinguer In a Violent Nature en lui remettant le Grand Prix. Les films Rumours et Exhuma ont remporté ex æquo le Prix du jury. Le jury courts-métrages présidé par la réalisatrice Emma Benestan a, lui, choisi de récompenser Les Liens du sang d’Hakim Atoui. Tout droit sortis de la neige, voici les cinq films qui ont fait frémir (de peur ou de plaisir) notre rédaction.


In a Violent Nature, Chris Nash

Un groupe de jeunes vacancier·es profane le sanctuaire d’un ancien serial killer en dérobant le collier de sa mère posé sur sa sépulture comme un talisman pour apaiser le Mal. Libéré de son entrave, le mort-vivant mutique se lance dans un massacre méthodique au cœur des bois. Si In a Violent Nature a tous les ressorts d’un slasher classique avec des money shots bien gore, c’est par sa proposition formelle que le long-métrage de Chris Nash sort du lot. Il décide de suivre son protagoniste en le cadrant presque exclusivement de dos durant la totalité du film, il ralentit le rythme de la narration, réduit les dialogues au minimum et n’inclut aucune composition sonore.

Ainsi, on assiste à une balade morbide et contemplative le long des forêts canadiennes où chaque massacre prend une tournure plus grave, organique et effrayante. Bien loin des considérations d’’elevated horror dont les productions A24 ont fait leur marque de fabrique – malgré une recherche formelle qui pourrait s’approcher des films du studio indépendant –  le film de Chris Nash lorgne plutôt du côté du cinéma américain indépendant à l’image de Gerry ou d’Elephant de Gus Van Sant, ou encore de Tobe Hooper et son inoubliable Massacre à la tronçonneuse où l’empreinte de la psychologie du Mal est plus diffuse, suscitant une peur plus viscérale et durable. LD

Disponible en VOD le 1er mars 2025 sur Insomnia. 


Rumours, Guy Maddin, Evan et Galen Johnson

Et si nos chers dirigeants du G7 étaient confrontés à une invasion de revenants ? C’est le pitch gonflé et original de Rumours, une comédie canadienne qui n’a certes pas fait parler d’elle au Festival de Cannes 2024 (présentée hors compétition) mais qui a su trouver un écho favorable auprès du public déjanté de Gérardmer (Prix du jury ex æquo avec Exhuma de Jang Jae-hyeon).

Porté par un casting aussi improbable que génial – l’Austro-Américaine Cate Blanchett y côtoie le Français Denis Ménochet et la Suédoise Alicia Vikander – Rumours se moque délibérément des politiciens, sans tomber dans la caricature facile de personnages connus (Cate Blanchett, qui incarne la chancelière allemande, n’a rien à voir avec Angela Merkel mis à part la veste rose). Ceux-ci sont réunis pour pondre un énième discours afin de faire face à une énième crise (on ne nous dira pas laquelle), et seule l’invasion de morts-vivants durant ce sommet du G7 les pousse à réfléchir, mais mal…

Accordant des dialogues tordants à des scènes qui poussent le WTF à son paroxysme (attention, sperme de zombies en approche), Rumours étonne et maintient son rythme jusqu’à une scène finale alliant parfaitement l’épique au ridicule. EA

En salles le 7 mai 2025.


Le Maître et Marguerite, Michael Lockshin

Adapter le roman Le Maître et Marguerite de l’écrivain soviétique Mikhaïl Boulgakov n’est pas une mince affaire. Il suit l’itinéraire d’un célèbre homme de lettres pris dans un scandale médiatique après l’annulation et la censure de sa pièce de théâtre jugée incompatible à l’idéologie du régime en place. L’écrivain rencontre et tombe amoureux d’une femme mariée, Marguerite, qui devient sa muse et impulse en lui l’écriture d’un nouveau roman. Dans celui-ci, les personnages sont des membres de son entourage, et Moscou reçoit la visite de Satan qui, déguisé en consultant étranger et accompagné de ses sbires, sèmera le chaos dans la structure intellectuelle et politique de la ville.

Dénoncé, l’écrivain est interné en institut psychiatrique avec d’autres intellectuels opposants au régime. Il achève secrètement son roman, et Marguerite, qui parvient à se le procurer, se vengera des personnes qui ont condamné son amant à la mort et l’oubli. Longtemps jugé inadaptable malgré de nombreuses tentatives cinématographiques et télévisuelles, le roman de Boulgakov trouve un réalisateur de taille en Michael Lockshin, écrivain et cinéaste russo-américain qui propose une fresque épique située dans un Moscou années 1930 futuriste. Il réussit l’exercice avec beaucoup de cohérence et de propositions de mise en scène. La scène d’ouverture vengeresse et fantomatique est à elle seule un petit bijou que ne renierait ni Steven Spielberg ni Guillermo del Toro.

Grand film sur l’amour, la liberté d’expression, l'anticonformisme et la bataille contre un régime de censure, Le Maître et Marguerite se fait inévitablement l’écho contemporain de la répression menée par le régime russe de Poutine à l’encontre de toute forme d’opposition politique et artistique. LD

Disponible en VOD.


Else, Thibault Emin

Malheureusement reparti bredouille du Festival de Gérardmer, le seul film français en compétition, Else, ne nous a pas laissées indifférentes. Mélangeant habilement le body horror de Cronenberg à l’esthétique rétro et chaude de Jean-Pierre Jeunet, ce premier long-métrage de Thibault Emin raconte avec poésie l’histoire d’un jeune couple confiné lors d’une épidémie étrange : les malades fusionnent avec les objets qui les entourent jusqu’à perdre forme humaine. Porté par deux acteurs peu vus au cinéma mais déjà bien connus des planches parisiennes (Edith Proust de la Comédie-Française et Matthieu Sampeur, un habitué du théâtre de l’Odéon), Else trouve son originalité dans son changement d’ambiance constant (de la comédie légère au drame en passant par l’horreur) et dans son travail sur les effets visuels et les décors. En effet, le huis clos réinvente sans cesse ses couleurs et mue en diapason avec les avancées de l’épidémie. Résultat : un film fort sur l’amour et le rapport à la mort, auquel on souhaite une très belle carrière en salles. EA

En salles le 28 mai 2025.



Les Liens du sang, Hakim Atoui

Auréolée du Grand Prix du court-métrage, cette première réalisation solo d’Hakim Atoui a fait hurler de rire la salle de l’Espace LAC du Festival de Gérardmer. On y suit un frère et une sœur d’une quarantaine d’années venus annoncer de grandes nouvelles à leur mère : l’une souhaite tenter une fécondation in vitro et l’autre part en soutien humanitaire à Gaza. Dès leur arrivée, bien évidemment, rien ne passe comme prévu. Ils tombent sur un humanoïde au design dérangeant, un robot médical chargé de servir la mère. Quant à cette dernière, elle s’empresse d’accumuler les reproches à leur égard. S’ensuivent des joutes oratoires jubilatoires servies par des acteurs survoltés (Myriem Akheddiou, Saadia Bentaieb et Djanis Bouzyani), le tout finissant dans un bain de sang certes prévisible mais qui surprend par sa mise en scène aussi maîtrisée que décalée. EA

Disponible sur la plateforme Insomnia.

ENORA ABRY ET LISA DURAND

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