JULIE SE TAIT - Leonardo Van Dijl
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À court de mots
Le premier long-métrage du réalisateur belge Leonardo Van Dijl, primé à la dernière Semaine de la critique du Festival de Cannes, raconte avec une incroyable justesse ce que signifie la libération de la parole, et la difficulté à parler.
Départissez-vous de toutes vos idées reçues. Julie se tait n’est ni un film sur le tennis ni un film sur les agressions sexuelles dans le milieu sportif. C’est un film sur le silence et bien plus encore, qui prend aux tripes, comme on en voit rarement. Au titre français, on préfère peut-être le titre original sous lequel on a découvert le film lors de sa présentation à la Semaine de la critique : Julie keeps quiet. L’utilisation du verbe keep, « garder » ou « rester » en français, montre bien la réalité de son personnage principal : Julie se tait et ne compte pas s’arrêter de le faire. Lycéenne et joueuse de tennis, Julie est l’une des meilleures de son club. Lorsque son entraîneur est accusé d’agressions sexuelles, Julie, que tout le monde pousse à parler, décide au contraire de se taire. Il ne s’est rien passé, comme elle s’évertue à le répéter à ses parents, amis et présidente du club.
Pour son premier long-métrage, Leonardo Van Dijl aborde le sujet des agressions sexuelles sous un angle rarement vu au cinéma : un personnage qui préfère se murer dans le silence plutôt que de parler. Car avant d’être libérée, la parole est enfermée, comme prisonnière, et la trajectoire pour sa libération n’est pas chose aisée. À la difficulté que peut représenter la mise en mots d’un traumatisme, s’ajoute la violence qui peut accompagner la libération de la parole, celle d’être désormais au centre de l’attention, d’être confronté·e aux mensonges de son agresseur ou d’être catégorisé·e comme victime. Van Dijl expose ce dilemme impossible entre silence et parole et réussit le pari osé de mettre en scène un personnage non seulement taiseux – une « Antigone qui ose dire non » –, mais aussi hermétique, tout en lui donnant une humanité profonde.
Un film à contre-courant
Mais qui dit silence ne dit pas inertie. Les prouesses sportives de Julie compensent son mutisme, et plus on est impressionné par la vitalité de son corps et la puissance de son jeu, plus la carapace se craque. La mise en scène de Van Dijl crée une empathie totale avec son personnage principal, jamais antipathique, et permet surtout de comprendre le système de l’emprise. Même le spectateur se laisse berner par les mots de l’entraîneur qui isole Julie, la complimente, tout en excluant son entourage. À travers cette relation, Van Dijl raconte avec une acuité folle les mécanismes pervers de l’emprise et de l’abus. Avec un talent rare de conteur à contre-courant, il va à l’envers de tous les films déjà réalisés sur cette thématique.
Tournée en 35 mm, avec un sens du cadre hallucinant, prompt à créer des images qui restent, Julie se tait est un film sensible et puissant, plein de colère ravalée, qui remue et ne laisse pas indemne. Révélant une comédienne pleine de talent, Tessa Van den Broeck, en même temps qu’un cinéaste, Julie se tait est un film dont tout le monde devrait parler.
ESTHER BREJON
Julie se tait
Réalisé par Leonardo Van Dijl,
Belgique, Suède, 2024
Julie, une star montante du tennis évoluant dans un club prestigieux, consacre toute sa vie à son sport. Lorsque l'entraîneur qui pourrait la propulser vers les sommets est suspendu soudainement et qu'une enquête est ouverte, tous les joueurs du club sont encouragés à partager leur histoire. Mais Julie décide de garder le silence.
En salles le 29 janvier 2025