LA MER AU LOIN - Saïd Hamich Benlarbi
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C’est un beau roman, c’est une belle histoire
Pour son deuxième long-métrage, le réalisateur suit, avec un sens du romanesque impressionnant, la rencontre d’un immigré marocain avec un couple de Français incongru. Une chronique triste et lumineuse à la fois, qui présente l’un des plus beaux personnages féminins de cinéma des derniers mois.
Si le cinéma est un art qui parle autant aux êtres humains, c’est peut-être parce qu’il ressemble à leur vie : c’est une expérience à la fois fondamentalement collective et profondément solitaire. Dans La Mer au loin, son deuxième long-métrage, Saïd Hamich Benlarbi, réalisateur déjà remarqué pour Retour à Bollène (2018), plonge son personnage principal dans cette ambivalence fondatrice. Nour a 27 ans. Débarqué clandestinement de son Maroc natal à Marseille, il évolue avec un groupe d’amis. Les soirées, la culture partagée et le partage de la débrouille, voilà pour l’expérience fondamentalement collective. Une interpellation brutale le rappelle à la solitude fondamentale : les amoureuses ont tendance à disparaître et les amis ne peuvent rien face à la nécessité pour chacun de trouver sa manière de surmonter les obstacles. Nour a de la chance, le policier chargé de son cas préfèrerait l’avoir dans son lit plutôt qu’en garde à vue. À défaut d’y parvenir, il lui propose de l’héberger et lui présente sa femme, parfaitement au courant de la bisexualité de son époux. Nour se trouve alors indéfectiblement lié à ce Serge et cette Noémie.
Sur le papier, La Mer au loin brasse tant de sujets qu’il y avait matière à boire la tasse. Saïd Hamich Benlarbi parle autant de l’exil, de la misère qu’on se traîne et qui rétrécit les horizons, obligeant à faire des choix puis à se persuader qu’ils sont les bons pour que ce ne soit pas trop insupportable, que d’amour et de conventions. Et pourtant, il y a là tant d’humanité, tant d’amour pour ses personnages, que tout s’emboîte parfaitement, avec un art du romanesque impressionnant. S’il est traversé par une mélancolie tenace et ne ressemble en rien à une épopée de l’assimilation, le film ne verse jamais dans le misérabilisme non plus. Ambivalence fondatrice toujours, il s’agit à la fois d’une grande fresque embrassant toutes les années 1990 et d’une humble plongée dans la chair d’un improbable trio.
Anna Mouglalis en majesté
Nour, Serge et Noémie ne sont pas que les sujets, certes passionnants, d’une étude de caractères. Devant la caméra du cinéaste, ils deviennent des émotions pures, brutes, fluides, extraordinairement simples dans leur complexité. L’amour se départit du cadre conventionnel du couple, la déception s’en nourrit, les petites lâchetés germent et tout se comprend sans avoir jamais rien besoin d’expliquer, parce qu’au fond ces trois-là ressemblent à tout le monde et font comme tout le monde : ce qu’ils peuvent. Les liens se distendent et se recomposent, au fil de (magnifiques) scènes de danse ou d’engueulades, et de la prise de conscience que certains fossés ne se comblent jamais.
Si Ayoub Gretaa est une révélation lumineuse dans le rôle de Nour, si Grégoire Colin est impérial dans celui de Serge, on ne peut imaginer fusion plus parfaite que celle de l’actrice Anna Mouglalis avec le personnage de Noémie. Cette femme à l’élégance parfois sévère qui, une fois sur la piste d’une boîte de nuit, laisse tomber sa rudesse avec sa veste. Cette amoureuse rationnelle et lucide qui peut aussi se montrer transie. Saïd Hamich Benlarbi nous offre sur un plateau un personnage féminin dont l’étrangeté vire à la poésie.
MARGAUX BARALON
La Mer au loin
Réalisé par Saïd Hamich
Belgique, France, Maroc, 2025
Nour, 27 ans, a émigré clandestinement à Marseille. Avec ses amis, il vit de petits trafics et mène une vie marginale et festive… Mais sa rencontre avec Serge, un flic charismatique et imprévisible, et sa femme Noémie, va bouleverser son existence. De 1990 à 2000, Nour aime, vieillit et se raccroche à ses rêves.
En salles le 5 février 2025