HOW TO SAVE A DEAD FRIEND - Marusya Syroechkovskaya

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Journal d’un déchirement russe

How to Save a Dead Friend puise dans l'authenticité de souvenirs filmés pour raconter une histoire russe autodestructrice. La tragédie se confronte à la tendresse salvatrice et montre des personnages à la profondeur troublante de vitalité dans une Russie de la marge.

Alors que Marusya pensait en finir avec la vie l’année de ses seize ans, elle rencontre Kimi avec qui elle partagera une relation longue de douze ans. À deux, ils s’accompagnent et se soutiennent dans la dépression, l’autodestruction et la dépendance aux drogues, jusqu’à ce que Kimi atteigne le point de non-retour. Il conduira sa santé physique à sa perdition la plus totale, tandis que leur amour, ébranlé, continuera d’être un repaire tendre et puissant.

C’est ce que nous raconte Marusya Syroechkovskaya dans son film documentaire autobiographique How to Save a Dead Friend, pour lequel elle aura puisé au plus profond de son intimité, à partir d’images filmées dans leur quotidien, à la manière d’un journal intime.

L’autofilmage était-il l’unique point d’ancrage à la perspective d’un futur ou une fuite du réel ? Les séquences qui découlent de ces tranches de vie prises sur le vif et en quantité constituent le corps du film tantôt mélancolique, tantôt joyeux auquel le montage précis en forme de film-journal donne un sens profond, intime et politique. On imagine l’intense émotion de la réalisatrice au moment de faire revivre son histoire avec Kimi par les images qui s’insèrent dans le film, à travers une multitude de références audiovisuelles aux années 2010 dans lesquelles le couple a baigné. Marusya Syroechkovskaya se prête à une voix off écrite à la première personne, délicate et engagée, encore pleine d’amour pour l’être perdu. La réalisatrice et protagoniste parvient à établir une distance avec ces images personnelles et spontanées, et donne à voir des visages d’une Russie dissidente, prenant le contrepied de la propagande conservatrice du Kremlin dont est teinté l’ensemble du film. How to Save a Dead Friend rend hommage aux écrasés du régime autoritaire russe qui remplissent les banlieues moscovites.

Constamment aux prises avec la violence du réel, Kimi et Marusya, de la même manière que leurs proches, cherchent des échappatoires où se dessinent des fenêtres de liberté. Alors, si ce n’est par l’addiction aux substances multiples, c’est par la croyance religieuse, quasi superstitieuse, ou par la vidéo que les protagonistes trouvent un sas de décompression et une once d’espoir.

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Dans ce contexte, les deux amis-amoureux créent un cocon où la relation de couple représente un lien de confiance inconditionnel. Leur lien d’amour tient plus de la survie que de l’insouciance des premières romances. Dans un équilibre parfois précaire, Kimi et Marusya investissent entièrement l’essence de l’union maritale, « pour le meilleur et pour le pire », qu’ils mettront en scène avec ironie lors d’une cérémonie. De couple à duo ou binôme, la relation en constante tension entre éloignement et dépendance mute et s’adapte en préservant toujours la compréhension et la bienveillance.

L’évolution du regard de Marusya sur Kimi tient compte de sa propre progression dans son rapport aux images tiré de ses études de cinéma qui l’éloignent géographiquement de la Russie et de Kimi. Marusya prend de l’assurance dans son rôle de réalisatrice et affûte la mise en scène. Elle convoque de nouvelles technologies audiovisuelles pour faire revivre le souvenir de Kimi et lui reconstituer une chair poétique. Ainsi, Marusya traverse les étapes du deuil et offre la paix à son âme sœur.

How to Save a Dead Friend est un film authentique qui ne cherche ni à plaire ni à provoquer. Il n’est qu’une ultime lettre d’amour honorant la mémoire d’une relation fusionnelle. Loin de romantiser la dépendance, quelle qu’elle soit, le film donne à voir l’attachement sincère et la bienveillance qui peut transcender les conditions les plus sombres de deux vies obscurcies par l’autodestruction et la précarité à l’ombre du Kremlin.


NOEMIE DEVOS


How to save a dead friend

Réalisé par Marusya Syroechkovskaya

Écrit par Marusya Syroechkovskaya

Documentaire

Suède, Norvège, France, Allemagne

À seize ans, Marusya est déterminée à en finir avec la vie, comme beaucoup d’adolescent·e·s russes. Puis, elle rencontre l’âme sœur chez un autre millenial du nom de Kimi. Pendant dix années, ils filment l’euphorie et l’anxiété, le bonheur et la misère de leur jeunesse muselée par un régime violent et autocratique au sein d’une « Russie de la Déprime ». Un cri du cœur, un hommage à toute une génération réduite au silence.

En salles le 28 juin

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