LA FILLE DE SON PÈRE - Erwan Le Duc
De la tendresse, de l’esprit, de la tendresse
Un papa poule, une jeune fille élevée dans le vide laissé par sa mère. Les livres de contes regorgent d’Étienne et de Rosa. Erwan Le Duc, qui excelle dans la fantaisie, tourne et vire autour de ce vieux motif, le rafraîchit sans le bazarder, l’interroge sans prétention. La Fille de son père, ou la jolie rencontre d’un auteur et d’un sujet faits pour s’entendre.
Les films d’Erwan Le Duc rendent joyeuses et joyeux. Il y a plusieurs raisons à cela, la principale étant qu’il donne à ses personnages une liberté au moins égale à celle qu’il s’autorise, lui, sur un plan formel. Tout est possible chez Le Duc. Et si — et si ! — On inventait une paternité à l’horizontale, une paternité sans paternalisme ? Le rêve est à portée d’Étienne et Rosa, qui évoluent dans leur monde comme sur un plateau de jeu, entre amusement et gravité, camaraderie et responsabilité. C’est à cel·lui qui prendra le mieux soin de l’autre, qui le surpassera en attention, et cette surenchère dans la tendresse, qui par miracle ne vire jamais à la niaiserie, est tout simplement irrésistible.
Comme toujours avec Le Duc, prévoir de venir en salles en baskets. S’attendre à courir après les personnages, des personnages qui courent après des fantômes, à moitié par égarement, à moitié pour semer la mélancolie, nettement plus forte ici que dans Perdrix. Comme il ne faudrait pas qu’elle l’emporte, les gags se succèdent à débit mitraille. Alors évidemment, mieux vaut avoir le goût du bon mot : Erwan Le Duc semble moins viser la cohérence générale du scénario que donner à chaque scène, et pour ainsi dire à chaque plan, une certaine couleur d’humour et d’émotion. Tout cela ravira les amoureuses et amoureux de screwball comedies, qui reconnaîtront peut-être en Nahuel Perez Biscayart, formidable en homme-enfant-pierrot-la-lune, quelque chose du Cary Grant de L’Impossible Monsieur Bébé.
Quand on dit que La Fille de son père a du charme, ce n’est pas une façon de lui donner un bon point tout en diminuant sa réussite. C’est une qualité plus rare qu’il n’y paraît, le charme. Celui-ci est un confus mélange de panache, d’aveuglement à la noirceur des hommes, de déni de fin du monde, c’est toutes ces couleurs jetées pêle-mêle sur toutes ces surfaces, c’est l’élan qui anime les gens, les machines, les paysages, jusqu’aux fourchettes, jusqu’aux feux de circulation, c’est le goût des mots maniés comme des balles de jonglage, c’est l’absence de limites, la liberté à tous les étages, c’est, par-dessus tout, cette confiance totale, candide, éperdue en l’amour, cette impudeur des gens qui s’aiment et qui se le disent ; bref, c’est cet amour de la vie qui n’est pas béat, parce qu’il est durement conquis sur la mélancolie. Vrai, le charme du cinéma d’Erwan Le Duc est peu commun. Du coup, on se fiche un peu que le film soit imparfait, un brin gâché par sa fin, invraisemblable au-delà de ce qu’on veut bien admettre, et qui assagit le film en refermant la boucle.
CLÉMENTINE PÉGUIN