CHRONIQUE DU MATRIMOINE #4 : Les films d’Alice Guy - deuxième partie

The Empress © United States Amusement Corp. et Popular and Players Inc

Les films d’Alice Guy, première réalisatrice de l’histoire du cinéma, restent largement méconnus en France et à l’étranger, malgré le statut d’incontournable de la cinéaste. Dans cette série d’articles, Clara Auclair et Aurore Spiers se plongent dans ce matrimoine aussi dense que novateur.

Falling Leaves (Solax, États-Unis, 1912)

C’est le cœur lourd qu’Alice Guy quitte son pays et sa compagnie, Gaumont, pour suivre son mari aux États-Unis en 1907. Elle ne restera cependant pas longtemps sans tourner ; dès 1910, elle fonde sa propre société de production, Solax, dans le New Jersey, et devient ainsi la première femme productrice de l’histoire du cinéma. Les succès de la Solax, comme Falling Leaves, sont immédiats.

Le film met en scène le drame d’une famille dont la fille aînée est atteinte de la tuberculose. Le médecin de famille lui professe un destin funeste : « Quand la dernière feuille tombera, Winifred ne sera plus des nôtres. » Tout le long de cette exposition, la fenêtre du salon, se situant au bord gauche du cadre, reste ouverte sur les feuilles d’automne qui tombent inéluctablement, comme symbole de l’impuissance humaine face à la maladie. Comme dans nombre de ses films, Alice Guy s’appuie ici sur les décors pour compliquer ou faire avancer la narration. Elle estimait grandement l’un de ses décorateurs, Henri Ménessier, qui l’aida à réaliser ses idées et travailla avec elle en France et aux États-Unis. 

Two Little Rangers (Solax, États-Unis, 1912)

Alice Guy réalise par la suite beaucoup de westerns afin de s’adapter à son public, déjà friand du genre. La géographie des gorges de l’Hudson dans le New Jersey, à deux pas de Manhattan, offre des paysages tout à fait adéquats pour la mise en scène de la grandeur des paysages américains. 

Si Alice Guy préférait nettement la comédie et le mélodrame aux films d’action et d'aventure, elle reconnaît dans ses mémoires avoir pris grand plaisir à filmer la nature américaine. Bien qu’incomplet, Two Little Rangers reste un film très apprécié de la filmographie américaine de la réalisatrice, et ce, dès sa sortie, car il met en scène deux jeunes héroïnes, dont seule la bravoure et la ténacité viennent à bout du chaos, de la violence et de l’injustice engendrés par le bandit Billy Gray.

Making an American Citizen © Solax

Making an American Citizen (Solax, États-Unis, 1912)

Sorti en 1912, à l’apogée de la Solax, Making an American Citizen est peut-être l’un des films les plus autobiographiques de la réalisatrice-productrice. Bien que le film représente l’immigration d’un couple d’Europe de l’Est aux États-Unis au début du siècle, il offre un commentaire à double entente sur le processus d’assimilation des étrangers sur le sol américain. D’un côté, le film met en scène la violence de la société américaine, faisant régner l’ordre et lissant les différences, et de l’autre, il loue une certaine émancipation féminine qui ne semble possible que dans ce nouveau monde. Majoritairement tourné en extérieur, ce film nous offre aussi de superbes vues de l’arrivée des bateaux depuis Ellis Island et des quartiers sud de Manhattan.

A Comedy of Errors (Solax, États-Unis, 1912)

Chez Solax, Alice Guy embauche une troupe d’acteurs dédiée, ce qui devient très commun aux États-Unis au début des années 1910. A Comedy of Errors met en scène trois acteurs phares de Solax : Blanche Cornwall dans le rôle de Mme Greeneyes, Darwin Karr dans le rôle de son mari et Billy Quirk dans le rôle du voisin, Billy. Cette comédie vaudevillesque repose sur un classique quiproquo et triangle amoureux : Mme Greeneyes envoie des baisers par la fenêtre à son mari partant pour la journée. Le voisin d’en face pense que les baisers lui sont adressés et vient vite courtiser la jeune femme seule à la maison. Mme Greeneyes reçoit la méprise de Billy avec beaucoup de moqueries, mais lorsque M. Greeneyes revient, elle cache son voisin dans le placard afin de ne pas se faire accuser d’infidélité par son mari jaloux. S’ensuit un va-et-vient comique entre le mari et Billy, et surtout un jeu hilarant entre Mme Greeneyes et sa femme de chambre, qui, avec l’aval des spectateurs, ridiculisent les prétentions des deux hommes. Comme dans beaucoup de ses films, Alice Guy met la complicité féminine au centre de l’histoire.

The Empress (United States Amusement Corp. et Popular and Players Inc., États-Unis, 1917)

Réalisé en 1917 par Alice Guy en tant qu’indépendante (sa compagnie, Solax, a été rachetée puis dissoute en 1914), The Empress est l’un des trois longs-métrages qu’il nous reste d’elle. Le film met en scène Doris Kenyon dans le rôle d’une jeune modèle, Nedra, victime de chantage. Le gérant d’un hôtel menace de diffuser une photographie de Nedra et du peintre pour lequel elle a travaillé dans une pose suggérant un rapport intime, alors que Nedra est désormais mariée au millionnaire tombé amoureux de son portrait. Nedra se croit perdue et souhaite mettre fin à ses jours, mais elle est sauvée in extremis par la fille du maître chanteur qui révèle sa supercherie. Bien qu’incomplet, ce film est important car il interroge de manière toujours contemporaine les pouvoirs de la photographie et sa capacité à détourner la vérité. Depuis le printemps 2023, le film est disponible sur HENRI, la plateforme gratuite de la Cinémathèque française.

CLARA AUCLAIR ET AURORE SPIERS

Clara Auclair a une double formation d’archiviste spécialisée dans la conservation du film et d’historienne du cinéma. Docteure en études culturelles et visuelles, elle travaille actuellement en tant que chercheuse associée au programme DAVIF (université de Marbourg) et enseigne l’histoire des médias à Stockholm en Suède.

Aurore Spiers est historienne du cinéma. Titulaire d’un doctorat en études cinématographiques, elle est actuellement maîtresse de conférences (assistant professor) à Texas A&M University aux États-Unis. Avec Clara Auclair, elle prépare un ouvrage collectif en anglais dédié aux films d’Alice Guy. 

Alice Guy

1873-1968

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