LES LUEURS D’ADEN - Amr Gamal

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Portrait d’un couple uni dans le Yémen d’aujourd’hui

Inspiré d’une histoire vraie, le film d’Amr Gamal dépeint avec réalisme et sous forme de chronique l’épopée que traverse un couple pour réaliser un avortement clandestin dans un pays, le Yémen, ravagé par la guerre depuis bientôt dix ans. 

Né en Pologne en 1983, Amr Gamal est un réalisateur de cinéma et de théâtre yéménite indépendant basé à Aden au sud du Yémen. Son premier long métrage,  10 jours avant le mariage, est le premier film exploité commercialement au Yémen depuis les trois dernières décennies, et a représenté le Yémen aux Oscars en 2018. Son nouveau film Les Lueurs d’Aden, présenté à la Berlinale en février dernier, est en course pour les Oscars 2024 et sera à l’affiche en France le 31 janvier prochain.

Au Yémen, pays dévasté depuis plus de huit ans par un conflit sanglant opposant les combattants pro-gouvernement aux rebelles houthis, l’industrie cinématographique est relativement peu développée puisqu'elle représente, d’après le cinéaste, moins d’une dizaine de films :  « En tout et pour tout, notre patrimoine cinématographique se compose de six ou sept films. J’en cumule deux à moi tout seul ». Son nouveau film Les Lueurs d’Aden marque donc une ouverture et reflète notamment une volonté de la part du réalisateur « d’ouvrir une fenêtre sur sa patrie ». 

Chronique d’une ville et de ses habitants

C’est avec un traitement réaliste et brut, à la manière d’un documentaire, que le film nous propose de nous immerger dans la ville d’Aden et le quotidien de ses habitants, en faisant le constat des effets de la guerre et de l’inflation sur sa population. Au moyen de plans larges, nous découvrons la ville d’Aden dans son ensemble, à travers son port, ses montagnes, son architecture, ses magasins, ainsi que les différents visages de la société yéménite qu’elle abrite. Dans une esthétique minimaliste, sans tentative de dramatisation, le cinéaste dépeint une ville en plein chaos et une population épuisée qui lutte quotidiennement pour ne pas sombrer dans la pauvreté. 

La narration du film suit de manière chronologique la vie quotidienne d’une famille de la classe moyenne que forment Isra’a et Ahmed avec leur trois enfants, et qui se bat pour joindre les deux bouts malgré le métier de chauffeur qu’exerce Ahmed. Raconté sous forme de chronique, le film les accompagne dans leur quotidien rythmé par la guerre civile – entre les contrôles militaires dans les rues, les pannes de courant fréquentes, le rationnement de l’eau et son transport de la rue à la maison. La crise économique contraint la famille à déménager dans un logement délabré à cause de nombreux salaires impayés ne leur permettant plus de payer aussi facilement les factures et l’éducation de leurs enfants. 

Le combat d’un couple face à l’avortement 

Le film montre que le pire est à venir, le jour où Isra’a découvre qu’elle est à nouveau enceinte. En effet, l’arrivée de cette grossesse est loin d’être perçue comme un heureux événement ; elle est vécue au contraire comme un terrible fardeau compromettant l’avenir de la famille, une référence directe au titre original du film qui est The Burdened, burden signifiant « fardeau » en français, soit « ceux qui portent un fardeau ». Le couple décide ensemble qu’Isr’aa doit avorter, mais cela crée d'énormes difficultés – dans leur relation et ailleurs. Le cinéaste dépeint une véritable épopée pour réaliser cet avortement, dans un pays où la culture locale est imprégnée par la religion musulmane et dont certains aspects rendent plus difficile encore la démarche d’avortement initiée par le couple.

Le film propose par ailleurs un discours sur l’avortement terre à terre et novateur : en montrant non pas le combat d’une femme seule pour avorter, mais celui d’un couple uni et solidaire dans ce choix, malgré leur propre croyance ainsi que les pressions sociales et religieuses. En effet, le traitement de l’avortement est intéressant car il dépasse le seul point de vue de la femme, pour déplacer le problème à une famille tout entière. C’est le couple qui est victime du système, et c’est donc ensemble qu’ils décident de se battre pour ce qui est juste de faire pour eux. 

Pour le cinéaste, cette histoire d’avortement est aussi un symbole, celui d’un peuple sans cesse contraint à renoncer, à abandonner tout rêve et tout projet : « Le terme "avortement" a toujours été associé dans la littérature arabe à l'expression de l'inachèvement des rêves ou de la perte de l'avenir et de l'ambition pour des raisons indépendantes de la volonté d'une personne, pour ainsi dire : mon rêve a été avorté, mon ambition a été avortée ou mon avenir a été avorté. Pour moi, ce symbolisme représente la plupart des Yéménites dont les rêves, les aspirations et le présent ont été avortés par la guerre et ses conséquences, et j'espère qu'il n'avortera pas leur avenir ». 

Avec ce film à l’esthétique minimaliste et au traitement réaliste semblable à un documentaire, Amr Gamal nous éclaire sur un état du monde, en ouvrant une fenêtre sur le Yemen d’aujourd’hui, et nous rappelle, à travers le témoignage de ce couple uni et solidaire, que l’avortement est un droit fondamental encore menacé et à défendre. À ne pas manquer ! 

 

Les Lueurs d’Aden

Réalisé par Amr Gamal

Écrit par Amr Gamal et Mazen Refaat

Avec Khaled Hamdan, Abeer Mohammed, Samah Alamrani…

Titre original : Al Murhaqoon

Yémen

Isra’a vit avec son mari Ahmed et ses trois enfants dans le vieux port de la ville d’Aden, au sud du Yémen. Leur vie quotidienne est rythmée par les effets de la guerre civile : contrôles militaires dans les rues, pannes de courant fréquentes, et rationnement de l’eau. Ahmed, qui travaillait pour la télévision, a dû quitter son poste à la suite de nombreux salaires impayés, pour devenir chauffeur. Ils ont à peine de quoi offrir à leurs enfants une vie normale et une bonne éducation. Quand Isra’a apprend qu’elle est à nouveau enceinte, le couple doit faire face à une nouvelle crise. Ils savent tous les deux qu’ils ne peuvent pas se permettre un quatrième enfant, d’autant qu’ils doivent déménager dans un logement moins cher et qu’il faut payer les frais d’inscription d’école. Ensemble, ils décident d’avorter. Une amie médecin va peut-être les aider…

En salles le 31 janvier 2024.

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