MAMBAR PIERRETTE - Rosine Mbakam
Récit d’une combattante
Présenté à la Quinzaine des cinéastes au dernier Festival de Cannes, le premier film de fiction de la documentariste Rosine Mfetgo Mbakam, Mambar Pierrette, raconte avec la même minutie que son héroïne, couturière camerounaise, la chronique de cette combattante du quotidien.
Après trois documentaires Les Deux Visages d’une femme bamiléké (2016), Chez Jolie coiffure (2018) et Les Prières de Delphine (2020), la réalisatrice camerounaise Rosine Mfetgo Mbakam quitte deux territoires, la Belgique et le pur documentaire, pour rejoindre le Cameroun et la fiction. Elle poursuit avec toujours le même regard son étude d’héroïnes puissantes. Ici, elle suit sur trois jours les péripéties quotidiennes de Pierrette, incarnée par Pierrette Aboheu Njeuthat, cousine de la réalisatrice, dont la vie a inspiré le film – car l’auscultation documentaire n’est jamais bien loin.
À Douala, capitale économique du pays, Pierrette exerce le métier de couturière, se rendant chaque jour dans son minuscule atelier, porte ouverte sur l’extérieur. Un lieu où elle reçoit des femmes, des sœurs, venues commander ou essayer des vêtements à tout âge de la vie : écolières, futures mariées ou endeuillées. Oreille attentive de ses clientes, l’artisane les accompagne dans ces étapes de vie et en cette période de rentrée scolaire, le travail ne manque pas. Quand l’une d’entre elles lui lance : « Tu as l’air de porter les malheurs du Cameroun sur ton visage », elle ne croit pas si bien décrire la dévotion perpétuelle dont fait preuve la couturière. Car tandis qu’elle tente de tenir son commerce, et qu’elle doit s’occuper de sa mère ou de trouver l’argent pour acheter des fournitures scolaires à ses fils, le ciel s’abat littéralement sur elle. Des pluies diluviennes inondent la maison et l’atelier. Une agression suivie d’un vol à l’arraché la prive de toute la recette d’une journée à trimer. La violence des hommes prenant racine ici dans l’absence du père de ses enfants, déserteur du foyer ne versant aucune pension. Sa machine à coudre, principal outil de travail, tombe en panne. Son propriétaire lui coupe l’électricité…
Autant de petites catastrophes répétées qui font de Pierrette l’héroïne d’une épopée du réel. En véritable portraitiste, Mbakam observe au plus près chaque geste de cette mère courage sans cesse en action et n’abdiquant jamais sous le poids de ces malheurs. Sa caméra embarquée s’en saisit pour mieux documenter la fiction racontée, dont un protagoniste atypique en est le témoin romanesque, un mannequin blanc aux yeux bleus, vestige oublié du colonialisme, placé étrangement dans l’embrasure de l’atelier. Face à son regard vide, Pierrette garde la tête hors de l’eau et bouleverse par sa lucidité constante. Exactement la même que Delphine nous contant depuis son lit le lot de tragédies violentes dont elle fut victime, dans le précédent long métrage de la cinéaste, Les Prières de Delphine, qui sort comme une bénédiction en salles ce même jour. Des combattantes, des vraies.
DIANE LESTAGE