L'ÉTAT DU TEXAS CONTRE MELISSA - Sabrina Van Tassel

Histoire d’une coupable idéale

Alors qu’elle réalise un court métrage documentaire aux États-Unis sur les femmes dans le couloir de la mort, Sabrina Van Tassel rencontre Melissa Lucio. Emprisonnée depuis bientôt dix ans, elle est accusée d’avoir battue et tuée sa fille de deux ans. Le jury, le procureur, le juge, les médias, les habitants du comté de Cameron sont tous convaincus de sa culpabilité. L’histoire de Melissa est traitée comme un banal fait divers dans la presse locale : une mère d’origine mexicaine, précaire et droguée, bat à mort sa fille. Elle est la première femme à écoper de la peine de mort dans l’état du Texas lors de son procès, mais son histoire n’intéresse personne. Trop banale et trop attendue de la part d’une mère défaillante. Pourtant, lorsque la réalisatrice franco-américaine se penche sur les faits du crime dont on l’accuse, rien ne paraît simple. Apparaissent alors des zones d’ombres ainsi que des incohérences qui sont balayées lors du procès. La cinéaste décide alors de prendre sa caméra et d’enquêter. L’État du Texas contre Melissa propose un nouveau regard sur l’histoire de Melissa. 

Tout commence par une évidence. Quelques heures après l’incident, Melissa est emmenée au commissariat pour un interrogatoire musclé. La médecin légiste vient à peine de poser sa conclusion : maltraitance. Dans ces images d’archives, il est facile de croire Melissa coupable. Apathique, débousolée, incapable de raconter quoi que ce soit concernant les dernières heures de sa fille, cette mère de quatorze enfants est évidemment coupable, pour le Ranger, les inspecteurs et même nous, spectateur‧trices du présent face à ces images sans contexte. Les quelques photos du corps, montrées par les policiers, finissent d'apposer le sentiment d'écoeurement. La vue d’un corps innocent, couvert de bleus, ferait bouillir le sang de n’importe qui. Melissa est coupable. Une mère indigne, pauvre, droguée : il était écrit que cela finirait ainsi. 

Au-delà des préjugés

Le travail documentaire de Sabrina Van Tassel consiste justement à dépasser l’évidence, et surtout les préjugés. Sa caméra vient alors interroger directement l'intéressée qui, dans ce cadre dénué de jugement, peut enfin raconter elle-même son histoire. La cinéaste ne s’arrête pas là et continue son enquête, en interrogeant sa famille proche, ses enfants (seulement ceux et celles devenu‧es adultes entre-temps), ses avocats, les parties adverses, etc… Des témoignages ambivalents qui servent à se rapprocher au plus près de la vérité. En interrogeant ces personnes, convaincues de son innocence ou au contraire, de sa culpabilité, la réalisatrice évite toute complaisance et récit biaisé. Sa volonté est claire puisqu’elle nous invite à nous faire un avis propre. Cela passe aussi par le respect de la famille de Melissa, notamment ses plus jeunes enfants, tenus à l’écart de toute cette histoire. 

Par ce biais, L’État du Texas contre Melissa dévoile plus que des faits, et met également en lumière un système juridique corrompu, où un certain quota de jugements "forts” (c’est-à-dire la peine de mort) est demandé pour être réélu. Devant la caméra, Melissa Lucio change notre regard et passe de la coupable idéale à la victime d’une justice à deux vitesses. Sabrina Van Tassel oblige à chercher au-delà de l’évidence, lieu favori des préjugés misogynes et racistes.


Réalisé par Sabrina Van Tassel

Melissa Lucio est la première femme hispano-américaine condamnée à mort au Texas. Accusée d’avoir tué sa fille de deux ans, cette mère pauvre et droguée, coche toutes les cases de la coupable idéale. Pourtant, son histoire qui regorge de zones d'ombres, va se révéler bien plus complexe qu’elle n’y paraît...

En salle le 15 septembre 2021

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