MARIA - Pablo Larraín
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Maria retrouvée
Pablo Larraín conclut son triptyque consacré aux grandes icônes mythiques féminines du siècle dernier après Jackie (2016) et Spencer (2021). Avec Maria, consacré aux derniers jours de la Callas, il convoque la mémoire pour redonner à la diva son corps et son identité.
La Callas a été Maria. Et elle l’affirmait elle-même en interview : « Il y a deux personnes en moi. Je voudrais être Maria. Mais il y a la Callas dont il faut que je sois à la hauteur. Je fais avec les deux autant que possible. » En axant son film sur les derniers instants déchirants de la Divina assoluta, le réalisateur chilien Pablo Larrain propose une libre interrogation identitaire tout en dualité de celle qui apporta au chant lyrique la nécessité de la dimension théâtrale et de l’intensité dramatique. C’est par la découverte le 16 septembre 1977 de son corps inanimé dans son appartement parisien de l’avenue Georges-Mandel que s’ouvre Maria, avant que n’apparaisse en gros plan le visage incarné par Angelina Jolie dans un noir et blanc soigné sur un « Ave Maria » issu de l’Otello de Verdi.
Ancré dans un temps court (une semaine) et quasi en lieu clos (son appartement du 16e arrondissement), Maria s’appréhende comme un opéra en plusieurs actes dans lequel la Callas, qui passa sa carrière à se glisser dans la peau des plus grandes tragédiennes (Tosca, La traviata, Madame Butterfly…), interprète la tragédie de sa vie alors que sa voix est abîmée depuis quelques années. Dépourvue d’amour parental, forcée à chanter par sa mère, la diva gréco-américaine avait ensuite été privée de cette voix sous l’emprise amoureuse de l’armateur Aristote Onassis (qui la quittera pour épouser Jackie Kennedy). Entourée, dans ses dernières années, de ses deux chiens, de son majordome (Pierfrancesco Favino) et de sa cuisinière (Alba Rohrwacher) prenant sincèrement soin d’elle, tous deux à la fois autant parents que frère et sœur ou enfants, Larrain lui offre une échappée déambulatoire entre solitude et désir d’adoration, psychotropes et lucidité, angoisses et apaisement.
Miroir, mon beau miroir
Il s’attache à un cinéma de perceptions dans lequel les passants du Trocadéro peuvent devenir le chœur des forgerons du Trouvère de Verdi et où un jeune journaliste prénommé Mandrax (Kodi Smit-McPhee), du nom du médicament qu’elle consomme en quantité, extrait de ses hallucinations, l’invite à se remémorer sa carrière. Véritable formaliste, le cinéaste aborde avant tout l’intériorité de Maria par l’image, distordant ses pensées par l’utilisation de récits dans le récit, recréant à l’aide de flash-backs de fausses images d’archives tournées en Super 8, s’amusant de la colorimétrie et des valeurs de plans. L’imaginaire de la Callas semble décider lui-même de la mise en scène dans un élan de liberté. Il donne ainsi le mouvement de son dernier opéra, qui n’est autre qu’un duel entre ses deux personnalités cohabitant, Maria et la Callas, donc.
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Par ce parti pris, Maria interroge la performance publique et l’image renvoyée par la célébrité puisque la prima donna, comme toutes les divas, se doit de performer sur scène et en dehors. Lunettes à double foyer juchées sur le visage (la Callas était myope depuis l’enfance), Angelina Jolie ne pastiche jamais la diva mais apporte au contraire une réflexion plus profonde de l’incarnation, à tel point que l’on se demande parfois si l’on est face à un biopic sur Maria Callas ou un documentaire sur Angelina Jolie interprétant. Fille du comédien américain Jon Voight, l’actrice est elle aussi une figure people de son époque, star comme la Callas, photographiée, filmée, enregistrée, qui trouve ici un grand rôle en majesté. Pour se préparer, l’actrice dont l’âge est proche de celui de Maria a dû apprendre l’italien et le chant lyrique, mixant sa voix avec celle de la cantatrice. Si le travail se ressent dans la performance, on assiste à la libération d’une actrice, et Jolie, en l’empruntant, rend ainsi à Maria Callas son corps, celui-là même qu’Onassis gardait pour lui, en l’accablant, « Tout le monde se fout de ton corps, on ne s’intéresse qu’à ta voix. »
Un parfait bio-utopique
En cela Maria se démarque radicalement des biopics « Musée Grévin » ou fiche Wikipédia, qui sont de plus en plus légion dans le paysage cinématographique. Pablo Larrain raffole des histoires vraies sur de grandes personnalités, et après avoir sondé l’histoire chilienne avec Santiago 73, No ou El club, ses portraits biographiques de Neruda dans le film éponyme (plus proche de la poésie et de l’imaginaire du poète que des faits), puis de Jackie Kennedy après l’assassinat de JFK et Lady Di durant ces trois jours de Noël peu de temps avant le divorce avec le futur roi d’Angleterre, le cinéaste chilien démontre dans ses derniers films comment s’échapper des codes du genre. Déconstruire le biopic et même l’antibiopic pour mieux saisir les personnages mythiques en s’en émancipant. Une recette narrative dont le secret fut partagé par Joann Sfar avec Gainsbourg vie héroïque, Mathieu Amalric et sa mise en abîme de Barbara, Bertrand Bonello invoquant Saint Laurent ou plus récemment Bradley Cooper et son portrait de Leonard Bernstein dans Maestro.
Des propositions libres par leur forme, leur temporalité embrassant toute la complexité de nos idoles. D’ailleurs, pour mieux saisir l’étouffement de ses célèbres héroïnes, sur lesquelles pèsent le poids des conventions et sans surprise celui de notre société patriarcale, Larrain les enferme dans des lieux délimités puis dans son cadre. Maria, par l’ambivalence de la Callas, n’échappe pas à cette règle, se faisant le réceptacle du lent désenchantement de Maria, fantôme hanté et fragilisé par la Callas puisant ses dernières forces. Un hommage vibrant à celle qui donna un visage inoubliable au mot « opéra ».
DIANE LESTAGE
Maria
Réalisé par Pablo Larrain
Avec Angelina Jolie, Pierfrancesco Favino, Alba Rohrwacher
Etats-Unis, Chili, Italie, Allemagne, 2025
La vie de la plus grande chanteuse d’opéra du monde, Maria Callas, lors de ses derniers jours, en 1977, à Paris.
En salles le 5 février 2025