Cannes 2024 : MOI AUSSI - Judith Godrèche

Copyright © Elias Bourreau/ManekiFilms

Nous ne sommes rien, soyons tout

À la suite de sa prise de parole, Judith Godrèche a reçu des milliers de messages d’anonymes témoignant de violences subies. Pour rendre hommage à leur parole, la comédienne réalise un court-métrage bouleversant de simplicité mettant en scène 1000 d’entre elles et eux, présenté en ouverture d’Un certain regard. 

Certaines sortent à peine de l’adolescence. D’autres ont les cheveux plus grisonnants. Elles sont blondes, brunes, rousses. Dans leur manteau d’hiver, elles s’observent. Il y a aussi des hommes parmi la foule. Une foule d'anonymes au milieu desquels Tess Barthélémy, fille de la réalisatrice, déambule et danse avec intensité dans une robe blanche symbolisant l’espoir et l’écoute, venant à la rencontre de l'assemblée immobile. L’image est belle, étonnante de simplicité et pourtant particulièrement bouleversante quand, après que l’artiste a caché son visage dans ses mains avec élégance, les centaines de personnes qui l’entourent l’imitent avec douleur. Ce geste, les deux mains sur la bouche, exprime à lui seul toute la violence subie par ces victimes quand leur parole est empêchée. Il est d’ailleurs répété par Judith Godrèche et son équipe en haut des marches du palais des Festivals ce jeudi, pour amener cette symbolique du mouvement #MeToo à Cannes sous les flashs des photographes.  Un geste simple, mais bouleversant. Dans le film, certaines d’ailleurs ont le regard embué, à l’évocation de toute la symbolique du silence qui est ici représenté. Ce silence que Judith Godrèche s’emploie aujourd’hui ardemment à briser, pour que la honte change de camp. Un silence brisé par des chuchotements où des voix décrivant les témoignages des violences viennent se percuter entre elles, comme pour mieux les faire sortir. Au moment de sa diffusion au Cinéma de la plage ce mardi (après avoir fait l’ouverture de la section Un certain regard), c’est dans un beau silence que cette séquence, la plus forte du film, a été accueillie par les festivaliers. 

Le 7 février 2024, Judith Godrèche s’exprime publiquement pour la première fois sur la plainte qu’elle vient de déposer contre Benoît Jacquot pour viols sur mineur. Après avoir exorcisé ses traumas dans sa première série, Icon of French Cinema, autofiction où elle évoquait subtilement les abus sans jamais citer le nom du cinéaste, sa parole se libère enfin publiquement. Et c’est une véritable vague. En quelques jours, Judith Godrèche se transforme en combattante prête à monter à tous les fronts : discours aux César, témoignage à l’Assemblée nationale et appel à la création d’une commission d’enquête sur les violences sexuelles dans le milieu du cinéma… En quelques mois, l’onde de choc – pour reprendre le titre des Inrocks qui lui a consacré sa couverture en avril dernier – est retentissante. Après Adèle Haenel et les accusations sur Gérard Depardieu, Godrèche devient le nouveau symbole du mouvement #MeToo cinéma. Après avoir tardé à émerger en France, la vague semble enfin commencer à déferler sur l’industrie avec une multitude de témoignages et enquêtes parus en quelques mois mettant en cause, à divers degrés, cinéastes (Jacques Doillon, Philippe Lioret…) et producteurs (Alain Sarde, Dominique Besnehard, Dominique Boutonnat…). Mais les mots de Godrèche vont bien au-delà de la sphère du septième art.

Fin février, sa boîte mail est inondée de plus de 5000 messages venus de toute la France. De femmes et d’hommes à qui elle promet un projet pour leur rendre hommage. Cette œuvre collective, c’est ce court-métrage, tourné avec 1000 anonymes dans les rues de Paris le 23 mars dernier. Plus qu’un documentaire, Moi aussi pourrait plutôt se définir comme un poème filmé. Simple dans sa forme, Judith Godrèche parvient à nous bouleverser à travers l’émotion individuelle visible sur chaque visage, nous faisant sentir viscéralement la douleur intacte de ces individus, qui se couple à la puissance du collectif. D’abord seule dans leur douleur, les femmes se regardent et s’enlacent à la fin. Le sens du mouvement #MeToo » et son importance pour les victimes prend forme à ce moment-là, même pour celles et ceux qui ne peuvent pas parler (plusieurs visages sont floutés dans la foule). En terminant son film sur une déambulation qui paraît sans fin et en utilisant le flou en premier pour créer une masse sombre, Godrèche lance un message clair : ce ne sont pas seulement 1000 personnes qui sont touchées, mais des millions éparpillées dans toutes les strates de la société qui ont subi, ou subissent, des violences sexuelles et sexistes. Aux victimes : vous n’êtes pas seules. Le combat ne fait que commencer.

ALICIA ARPAÏA

Moi aussi

Réalisé par Judith Godrèche

Avec Tess Barthélemy

France, 2024

Une œuvre chorale composée de récits personnels énoncés par fragments et mettant en scène ce chemin âpre mais salvateur, de la douleur sans mots au début d'une libération par la parole. Un millier de personnes y participent. La musique, la danse, l’image, l’imaginaire leur offrent un espace aussi physique que symbolique : être ensemble, en pleine rue, en plein jour, et occuper la ville comme un geste militant.

Le film sera diffusé le samedi 25 mai à 20 h 40 sur Culturebox, puis disponible gratuitement à partir du 22 mai prochain sur la plateforme de France télévisions : France.TV

Précédent
Précédent

Cannes 2024 : WHEN THE LIGHT BREAKS -Rúnar Rúnarsson

Suivant
Suivant

RENCONTRE AVEC YASMINE BENKIRAN – “Au tout début de l’écriture, il y avait l’image prégnante de femmes au volant d’un camion”