Cannes 2024 : NIKI - Céline Sallette
Super nana
Pour son premier essai derrière la caméra, Céline Sallette relève avec beaucoup de sensibilité le défi du biopic en s’intéressant aux débuts de Niki de Saint Phalle. Une œuvre surprenante qui place le geste artistique comme élan vital, portée par une Charlotte Le Bon habitée.
Débuter une carrière de réalisatrice sur un biopic, c’est un coup de poker. Face à un genre ultra-codifié qu’on adore souvent détester (la preuve encore récemment dans notre podcast sur Back to Black et les biopics musicaux), Céline Sallette fait une proposition des plus audacieuses. Parler d’une des plus grandes artistes du XXe siècle sans jamais montrer une seule œuvre frontalement, les droits de ses tableaux et sculptures étant bloqués, et pourtant réussir à capter l’essence même de l’acte de création. En effet, ce n’est pas à l’icône Saint Phalle que Céline Sallette s’intéresse, mais à Niki, cette jeune femme dépressive, victime d’inceste, qui par l’art va parvenir à combattre son trauma. La mannequin, femme au foyer un peu désespérée d’un écrivain américain, se transforme progressivement en artiste révoltée, prête à prendre littéralement les armes pour créer et se délivrer de son passé. En optant pour une photographie douce aux couleurs chaudes, Céline Sallette fait le choix d’emmener son personnage vers la lumière malgré l’obscurité qui règne dans son esprit – elle passera notamment par la case de l’hôpital psychiatrique où elle découvrira la puissance des pinceaux sur sa vie. L’art la sauve de la mort. Le film fait d’ailleurs écho à un classique redécouvert récemment, Aloïse de Liliane de Kermadec avec Delphine Seyrig, où l’enfer de l’enfermement psychiatrique aboutissait paradoxalement à la naissance d’une vocation artistique. La mise en scène regorge ainsi de belles idées, permettant d’assumer à l’image le fait que les tableaux restent invisibles aux yeux des spectateurs, comme si ces œuvres de jeunesse devaient rester cachées car représentatives d’une démarche artistique pas encore aboutie.
On se passionne aussi pour la manière dont Sallette peint la maternité et la sexualité. Dans la France des années 50, sa Niki cherche à échapper aux carcans et à la charge mentale qui pèse sur les femmes en osant s’échapper du cocon familiale pour s’aventurer dans une vie de bohème. Un récit de transformation et d’émancipation très maîtrisé par Sallette, actrice engagée qui s’inscrit dans un mouvement de prise de la caméra par les comédiennes - à Un Certain Regard ont a pu aussi découvrir cette année Le procès du chien de Laetitia Dosch et September Says d’Ariane Labed - dans lequel s’inscrit d’ailleurs sa comédienne principale, Charlotte Le Bon avec le sublime “Falcon Lake” (2022). Le choix de la comédienne fut une évidence pour Céline Sallette, qui dit avoir eu l’envie de travailler avec elle après avoir été frappé par la ressemblance physique entre les deux femmes après avoir visionné des interviews de l’artiste. Au-delà de cette similitude, Le Bon est surtout le choix parfait de par son parcours professionnel proche de celui de Niki, des débuts en tant que mannequin avant un épanouissement dans le monde de l’art. Au-delà du 7ème, Charlotte Le Bon s’impose aussi comme une artiste multidisciplinaire, déjà exposée pour ses dessins, peintures, sculptures et photographies. L’actrice livre ainsi une performance d’une puissance folle, totalement habitée par ce personnage sublimé par le regard de Céline Sallette. Niki se conjugue au pluriel, où la rencontre des sensibilités de Céline Sallette et Charlotte Le Bon permettent la création d’une oeuvre cinématographique lumineuse, à la fois hommage à la femme Niki de Saint-Phalle qu’aux victimes d’inceste et leur combat pour retrouver une force de vie.
ALICIA ARPAÏA