NORAH - Tawfik Alzaidi

Copyright © TwentyOne Entertainment

Dessine mon portrait 

Dans ce premier long-métrage réalisé dans l’époustouflante oasis d’Al-Ula dans la région de Médine en Arabie Saoudite, le cinéaste saoudien Tawfik Alzaidi dresse un portrait de la société saoudienne ultra-conservatrice des années 1990 et raconte avec délicatesse et lyrisme la quête de liberté de Norah.

Né en 1982 et installé à Riyad, Tawfik Alzaidi est un membre éminent et influent de la nouvelle vague du cinéma saoudien. Depuis Wadjda en 2012, premier long-métrage produit par le pays et réalisé par la cinéaste Haifaa Al-Mansour, le cinéma saoudien avait disparu des écrans. Rappelons que dans un pays où les salles ont été interdites entre 1983 à 2018, l’industrie cinématographique saoudienne est encore jeune et relativement peu développée. Mais cela est en train de changer, notamment depuis la création en 2020 du fond de soutien Red Sea Fund qui promeut le secteur cinématographique en Arabie Saoudite, dans le monde arabe, en Asie et en Afrique, et « dont les initiatives sont étroitement liées aux plans de l'Arabie Saoudite pour soutenir le cinéma et la culture, en mettant l'accent sur les piliers d'une société dynamique et d'une scène culturelle florissante. » Financé par ce fonds, Norah est aussi l'un des premiers films saoudiens sélectionnés à Cannes dans la catégorie Un Certain Regard et à être lauréat de la Mention spéciale du Jury au Festival 2024, marquant ainsi une étape cruciale pour le cinéma saoudien sur la scène internationale. 

Se déroulant en Arabie Saoudite en 1996, période ultra-conservatrice où l'expression artistique était interdite, Norah raconte l'histoire de Nader, un nouvel instituteur venu transmettre son savoir dans un village reculé, et de Norah, une jeune fille en quête de liberté. Au péril de leur vie, en défiant les lois traditionnelles bédouines et conservatrices du wahhabisme qui régissent le village, tous les deux développent une amitié et s'inspirent mutuellement pour nourrir leur créativité. Nader, artiste à l'origine, éclaire Norah sur le monde extérieur au village. Il ne s’agit pas d’une histoire d’amour, mais d’une fenêtre d’espoir par le biais d’un portrait dessiné que demande audacieusement Norah à Nader, bien que cela soit interdit et puni. Cette rencontre platonique nourrit chez Norah l’urgence de quitter son monde pour trouver un endroit où elle pourra exprimer librement sa personnalité artistique et sa soif de liberté.

Norah dénonce dans un langage cinématographique très épuré et minimaliste les clivages entre les conservateurs de la tradition et les porteurs de modernité, sans tomber dans le débat polémique religieux. Le film ouvre une fenêtre sur la société saoudienne de l’époque, et nous instruit sur le mode de vie de ce village de bédouins, en marge de la ville et sceptique par rapport au mode de vie citadin. Il met en lumière sa communauté patriarcale, le faible accès à l’éducation, la censure, le manque de liberté d’expression et l'absence de droits accordés aux femmes. 

Malgré ce contexte hostile, Norah apparaît et est décrite par plusieurs personnages du film comme étant « une jeune femme pas comme les autres ». Forte de caractère, elle tient tête à sa tante en refusant de se marier. Vive d'esprit, elle est capable de lire et d’écrire alors que l’ensemble du village est analphabète. Audacieuse, elle sort acheter à la sauvette des produits de contrebande comme des magazines qu’elle lit ensuite en cachette dans sa chambre à la nuit tombée en écoutant des cassettes audio. Norah est curieuse et lumineuse, elle porte d’ailleurs bien son prénom qui signifie « lumière » en arabe. Elle rêve d’un ailleurs, et dans cet espace désertique dans lequel elle étouffe, le film parvient bien à rendre ce sentiment d’enfermement et ce désir d’émancipation si difficile à atteindre. On reprochera néanmoins au film son côté parfois un peu trop contemplatif et son manque de rythme. 

De ce film, on retiendra surtout la fraîcheur et l’intrépidité de Norah, merveilleusement interprétée par Maria Bahrawi, jeune actrice saoudienne dont c’est le premier rôle au cinéma, le somptueux cadre d’Al-Ula, qui apparaît en majesté dans le film et pour la première fois au cinéma, ainsi que la volonté du cinéaste – vivement encouragé par le gouvernement saoudien – d’ouvrir une fenêtre sur l’Arabie Saoudite d’hier et d’aujourd’hui. 

SARAH DULAC

Norah

Réalisé par Tawfik Alzaidi

Écrit par Tawfik Alzaidi

Avec Maria Bahrawi, Yaqoub Alfarhan, Abdullah Alsadhan, Aixa Kay

Arabie Saoudite, 2024

Arabie Saoudite, dans les années 90. Le nouvel instituteur, Nader, arrive dans un village isolé. Il rencontre Norah, une jeune femme en quête de liberté. Leur relation secrète, nourrie par l’art et la beauté, va libérer les forces créatrices qui animent ces deux âmes sœurs… malgré le danger.

En salles le 16 octobre 2024

Précédent
Précédent

Notre top spécial films de fantômes

Suivant
Suivant

CULTE - Matthieu Rumani et Nicolas Slomka