NOTRE CORPS - Claire Simon

Copyright Dulac Distribution

Plongée dans l’intime

De retour dans son genre de prédilection, le documentaire, Claire Simon propose un portrait en retenue mais bouleversant des patientes d’un centre gynécologique. 

Ce sont des moments que l’on vit solitairement : les consultations à l'hôpital, gynécologiques de surcroît, sont des espaces communs mais protégés, par leur caractère privé et médical. C’est sans doute pour cette raison que Claire Simon, qui cherche à révéler des récits nichés dans son environnement proche (une cour d’école dans Récréations ou la Fémis dans Le Concours) s’est lancée dans ce projet de documentaire-fleuve. La démarche était risquée, mais la réalisatrice évite tout voyeurisme par l’affection immense et la pudeur avec laquelle elle filme, spectatrice discrète et respectueuse. Pendant sept semaines, elle tisse des liens avec le personnel hospitalier et, dans le respect visible de l’accord des patientes, lève le voile sur des fragments de vie souvent bouleversants. 

D’une jeune fille qui souhaite avorter jusqu’à une femme dont le cancer ne peut être soigné, les thématiques observées glissent chronologiquement avec fluidité par un beau travail de montage. La longueur plutôt conséquente du film révèle une intention de prendre le temps, de capturer ces histoires en les écoutant vraiment, plutôt qu’en en faisant un carrousel d’exemples. Claire Simon prend les sujets de front, et opère un travail minutieux d’exposition de l’intimité jusqu’à la littérale dissection. Des scènes d’opération crues et impressionnantes laissent sans voix : pour récupérer ses ovules, une patiente se fait aspirer les ovaires à l’aide d’une aiguille, alors qu’elle est consciente et tente de contenir sa douleur. Cet effet de révélation d’intimité va encore plus loin lors de l’ablation d’un tissu d’endométriose, observée distinctement par la caméra chirurgicale. Cette maladie, qui commence seulement à faire parler d’elle, prend de manière inédite une existence concrète, charnelle, sous la forme d’un amas de chair que l’on peut retirer. Quelques minutes plus tard, le zoom continue jusqu’au stade moléculaire, et à la réalisation d’une fécondation in vitro grâce à un écran d’ordinateur.

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Mettre en lumière une expérience féminine 

L’exploration macroscopique et microscopique de ces corps féminins contraste directement avec leur représentation normée et fantasmée, tant exploitée par de nombreuses industries. Encore aujourd’hui la femme doit respecter son rôle reproductif, du moment que l’on n’en voit pas la réalité difficile sur l’espace public. Par opposition, les images de Claire Simon sont résistantes. Dans Notre corps, celui-ci est multiple, défaillant, amputé, cis ou trans. La cinéaste s’inclut dans ce singulier universel en se mettant à nu comme les autres lorsqu’elle devient elle-même patiente de l’hôpital, hasard de la vie qui mène à l’une des scènes les plus difficiles du film. 

On peut rapprocher le mode documentaire de Simon de celui de Frederick Wiseman, mais celui-ci avait pour objectif de questionner des institutions comme l’école ou l’hôpital psychiatrique. Claire Simon, au contraire, embrasse le vécu des patientes, et leur volonté qui s’agite devant leurs défaillances anatomiques. Sous les différentes injonctions, ce sont elles qui ont malgré tout le dernier mot. Celui de continuer à se battre, de lâcher prise, ou de revendiquer dans un cri son droit au désir :  “Je préfère avoir mal que ne pas avoir envie”. 

LEA LAROSA

Notre Corps

Réalisé par Claire Simon

Écrit par Claire Simon

Documentaire

France

J’ai eu l’occasion de filmer à l’hôpital l’épopée des corps féminins, dans leur diversité, leur singularité, leur beauté tout au long des étapes sur le chemin de la vie. Un parcours de désirs, de peurs, de luttes et d’histoires uniques que chacune est seule à éprouver. Un jour j’ai dû passer devant la caméra.

En salles le 4 octobre 2023.

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