ON IRA - Enya Baroux
© BONNE PIOCHE CINÉMA - CARNAVAL PRODUCTION - ZINC
Le dernier voyage
Parler de la fin de vie par la comédie ? Voilà un pari un brin osé mais joliment réussi pour Enya Baroux, qui pour son premier long-métrage entraîne en road trip un formidable quatuor d’acteurs. Une odyssée familiale jamais tire-larmes malgré son sujet et à l’humour piquant.
C’est peut-être encore un des grands tabous de notre société. La question de la fin de vie et de l’accompagnement de nos proches vers la mort. Un sujet délicat, qui pointe régulièrement dans l’actualité mais pas si souvent au cinéma – même si ce printemps est propice à la réflexion avec aussi Le Dernier Souffle de Costa-Gavras. Enya Baroux, elle, ajoute sa pierre au débat public par le biais inattendu de la comédie populaire. Un sacré sujet pour un premier film, d’autant plus dans ce registre. Avec le retour agressif de son cancer, Marie, 80 ans, le sait : elle est au crépuscule de sa vie. Mais pas question de laisser gagner le crabe. Elle partira dans la dignité et accompagnée de ses proches en Suisse. Encore faut-il que lesdits proches, ici son fils et sa petite-fille, soient au courant de l’affaire. Face aux tensions familiales, Marie préfère leur mentir sur l’origine du voyage, au grand dame de son aide-soignant, chauffeur de cette petite troupe. Avalanche de quiproquos, rencontres inattendues et problèmes de moteur… Si Enya Baroux, révélée par sa rigolote web-série Fleur bleue, propose un schéma narratif assez classique dans la catégorie road trip, la réalisatrice se démarque d’abord par ses envies de mise en scène, opposant poésie des espaces naturels, où respire la vie, et austérité des intérieurs, lieu des mensonges et de la mort, mais aussi par son sens du rythme comique.
On ira s’inscrit pleinement dans une double tradition, celle de la comédie familiale (l’ombre de Little Miss Sunshine plane) et celle de la comédie sociale à la française (on pense évidemment à Toledano-Nakache ou au dernier succès du genre En Fanfare, qui partage avec ce film sa tête d’affiche, le génial Pierre Lottin). Mais il surprend peu à peu par son habileté à éviter les écueils bien-pensants. Les vannes s’enchaînent, y compris sur le terrain miné de la vieillesse et de la mort. Un des gags inauguraux met ainsi en scène une Hélène Vincent en difficulté sur son siège mécanique après avoir fait tomber dans les escaliers une prothèse mammaire. Non seulement le décor de la maladie est posé, mais en plus, la scène est très drôle. Et si ça passe, c’est grâce à la force d’un casting impeccable dont Enya Baroux a su tirer le meilleur. Le film s’articule autour de ses quatre héros, comme quatre points cardinaux évoluant chacun dans leur propre grammaire comique sans jamais éclipser ses voisins. Il y a donc la douceur de la parfaite Hélène Vincent, qui dissimule sous son sourire de grand-mère la dureté des mensonges et des non-dits, et la gouaille un peu à côté de Pierre Lottin, ici improbable aide de vie. Un duo dont on aimait déjà la complicité chez François Ozon dans Quand vient l’automne. S’y ajoute la jeune Juliette Gasquet (aperçue dans la série Jeune et Golri) en ado au bord de la crise de nerfs et surtout David Ayala en père/fils paumé, qui après Miséricorde et D’Argent et de sang impose définitivement sa physicalité dans le paysage cinématographique.
© BONNE PIOCHE CINÉMA - CARNAVAL PRODUCTION - ZINC
La sincérité des comédiens couplée à l’écriture maligne d’Enya Baroux permet ainsi à l’émotion de se frayer naturellement un chemin entre les blagues, déployant l’air de rien son discours en faveur de la fin de vie, dont on sent la dimension personnelle du sujet pour la cinéaste (elle aura mis plus de cinq ans à financer le film). C’est à travers la relation entre la grand-mère et sa petite-fille que celui-ci touche le plus, les deux femmes symbolisant chacune le début et la fin de la vie d’une femme – l’adolescente découvre ses premières règles lors du voyage. Là encore, Enya Baroux joue sur un tabou, s’aventurant notamment dans un audacieux quiproquo, à la frontière du mauvais goût, où les protagonistes masculins parlent dans les mêmes termes des menstruations et de la mort. Et là encore, ça passe ! Au dernier festival de comédie de l’Alpe d’Huez, Hélène Vincent et Juliette Gasquet sont d’ailleurs reparties conjointement avec un prix d’interprétation. Un début prometteur pour Enya Baroux, qui rejoint le club plus si fermé des réalisatrices françaises s’essayant dès leur premier long-métrage à une réappropriation de la comédie populaire.
ALICIA ARPAÏA
=> Nos autres critiques et rencontres autour des réalisatrices dans la comédie française : Bis Repetita, Bernadette, Les Petites Victoires…
On ira
Réalisé par Enya Baroux
Écrit par Enya Baroux et Martin Darondeau
Avec Hélène Vincent, Pierre Lottin, David Ayala et Juliette GAsquet
France, 2025
Marie, 80 ans, en a ras le bol de sa maladie. Elle a un plan : partir en Suisse pour mettre fin à ses jours. Mais au moment de l’annoncer à Bruno, son fils irresponsable, et Anna sa petite-fille en crise d’ado, elle panique et invente un énorme mensonge. Prétextant un mystérieux héritage à aller chercher dans une banque suisse, elle leur propose de faire un voyage tous ensemble. Complice involontaire de cette mascarade, Rudy, un auxiliaire de vie tout juste rencontré la veille, va prendre le volant du vieux camping car familial, et conduire cette famille dans un voyage inattendu.
En salles le 12 mars 2025.