Oscars 2024 - Notre bilan

Barbenheimer - acte 157 

En sacrant Christopher Nolan et son Oppenheimer, l’académisme a primé au cours d’une cérémonie 2024 sans surprise, dont on retiendra surtout l’émotion de Justine Triet, qui clôt triomphalement sa saison des récompenses avec une statuette du meilleur scénario original. 

Pourquoi ouvrir ce billet sur le duel galvaudé de l’été dernier ? Parce que, même s'il était entendu depuis longtemps que les mâles nolanniens allaient mettre KO les poupées Mattel sur le ring des Oscars (et ce fut de manière assez ennuyeuse le cas, 7 statuettes au total dont meilleur film, meilleur réalisateur et meilleurs acteurs), l’ombre rose de Barbie a étrangement plané sur cette cérémonie. Il est en effet plus simple pour Hollywood de s’autocongratuler pour ce film « féministe » que pour Oppenheimer, synthèse d’un cinéma classique très masculin et très blanc, pourtant largement plébiscité par les votants – on peut y voir toutefois une manière de consacrer l’œuvre de Nolan et sa place dans le cinéma contemporain, entre blockbuster et exigence d’auteur. C’est donc Jimmy Kimmel qui débarque sur « Dance the night » de Dua Lipa, hymne du film Barbie (chanson non nommée, bien que ce soit Billie Eilish qui remporte le prix pour le même film) et une première blague de la soirée autour de la micro-crise locale autour de l’absence de nomination pour Greta Gerwig et Margot Robbie, déjà mise en avant dans la bande-annonce de la cérémonie. Que les Américains respirent, cela illustre juste les paradoxes du film : l'aspect commercial prédominant sur les valeurs féministes, et un Ryan Gosling qui vole littéralement le film à sa partenaire. Ce dimanche soir, c’est sa performance sur « I’m just Ken » qui sera logiquement la plus attendue, où Gosling, plus charismatique que jamais, se la joue Marylin sous le regard de Gerwig, Robbie et Ferrara, filmées comme des groupies quatre étoiles en délire dont les gloussements surjoués, avouons-le, frise légèrement le ridicule et, osons le dire, la misogynie. Nous ne sommes plus autour de ce film à un paradoxe près ! 

Parmi les groupies de Gosling, notons aussi la présence d’Emma Stone (sa partenaire à trois reprises), qui quelques instants plus tard montera sur scène récupérer la deuxième statuette de meilleure actrice de sa carrière pour sa performance dans Pauvres créatures, ce que nous avions d’ailleurs prédit dans notre podcast sur le film. Pour couper tout de suite court aux commentaires, qu’on aime ou pas le film de Yorgos Lanthimos, Stone mérite son prix, tant son travail sur le corps et le mouvement demeure exceptionnel.  « Merci pour ce rôle cadeau », dira la comédienne sur scène, car il est vrai qu’elle peut se réjouir de la liberté et l’audace qu’a pu lui procurer ce projet – dont elle est, rappelons-le, coproductrice, chose plutôt rare à Hollywood, ne l’oublions pas. Mais évidemment, on ne peut que penser au fait que la victoire d’Emma Stone empêche cette 96e cérémonie d’entrer dans l’Histoire. Jusqu’au bout on aura croisé les doigts pour un sacre de Lily Gladstone, première actrice amérindienne à être nommée dans cette catégorie. Celle-ci aura peut-être pâti de la manière dont son personnage se retrouve hélas sacrifié dans le dernier acte de Killers of the Flower Moon. Pour le symbole, on repassera. 

La place des actrices racisées reste d’ailleurs encore le nerf de la guerre. Cette année, la comédienne Da’Vine Joy Randolph a remporté l’Oscar du meilleur second rôle féminin pour Winter Break. Elle sera à l’origine d’un des discours les plus touchants de la soirée, rappelant son isolement notamment en tant que femme noire à l’école et l’importance de la question du regard que l’on pose sur elle. Une belle récompense, certes, mais qui s’inscrit dans un mouvement de fond qui court depuis une quinzaine d'années maintenant à l'académie. Comme nous l’avions déjà longuement analysé il y deux ans au sein d’un dossier sur les Oscars dans le n°2 de notre revue, on note l’omniprésence de nommées et lauréates issues des minorités dans cette catégorie des seconds rôles – pour des personnages souvent hélas stéréotypés, associés à une forme de pauvreté (c’est le cas ici encore…). À l’inverse, il y a une absence notable dans la catégorie “Meilleure Actrice”, bien qu’on puisse espérer que la victoire de Michelle Yeoh l’an dernier fasse bouger les lignes. Dommage, d’ailleurs, qu’elle ait dû remplir son rôle de remettante avec quatre autres anciennes lauréates, dont la blondeur correspond au canon de beauté hollywoodien à travers les âges. 

11 femmes récompensées (sur 37 statuettes distribuées)

Dans notre dossier, nous évoquions aussi le manque de représentation des femmes aux Oscars dans les catégories techniques (hors costumes, décors et maquillages). Cette année, sur 19 catégories mixtes, 8 consacrent des femmes oscarisées, notamment dans la catégorie montage (Jennifer Lame pour Oppenheimer), effets visuels (Kiyoko Shibuya parmi l’équipe de Godzilla Minus One)... Et évidemment, ne l’oublions pas, meilleur film avec Emma Thomas, productrice historique (et épouse) de Christopher Nolan pour Oppenheimer. Du mieux par rapport à 2023, même si on précise qu’aucune femme n’était nommée dans les catégories suivantes : photographie, son et meilleur film étranger.

Pour finir, nous saluons évidemment la victoire tant attendue de Justine Triet et Arthur Harari qui remportent ensemble l’Oscar du meilleur scénario original, aboutissement d’une longue campagne qui aura valu à Anatomie d’une chute de récolter une moisson de 90 statuettes à travers le monde, depuis sa Palme d’or en mai dernier. Un parcours exemplaire qui fait entrer la cinéaste dans la cour des très grands, pour passer fièrement « la crise de la quarantaine », pour reprendre les premiers mots de son discours. L’ère de la reine Justine ne fait que commencer !

ALICIA ARPAIA

Précédent
Précédent

TIGER STRIPES - Amanda Nell Eu

Suivant
Suivant

RENCONTRE AVEC AMJAD AL RASHEED - “Je voulais que le public réévalue toutes les lois et traditions jordaniennes”