TIGER STRIPES - Amanda Nell Eu
Au sein d’une jungle vibrante de vie, les tabous et le conservatisme sont mis à mal par la révolte bestiale de la jeune Zaffan, qui perd petit à petit son humanité. Un drôle de teen movie, féroce et facétieux.
Sous la direction d’Amanda Nell Eu, l’horreur peut être kitsch. Les miasmes de la puberté s’y mystifient dans le récit d’une insurrection farouche contre l’ordre établi. Récompensée du Grand Prix de la Semaine de la critique cannoise, la réalisatrice réveille les fantômes du folklore malaisien dans un premier film énergique et pop.
Teen rage
« Tu es sale, maintenant ». La mère de Zaffan donne le ton lorsque celle-ci tache ses draps la nuit de ses toutes premières règles. Cette phrase à double sens révèle que la jeune fille est désormais marquée, qu’elle importune les strates conformistes de sa petite communauté rurale.
Élément inhérent et jouissif du teen movie, Zaffan se débat sous le joug d’institutions castratrices, incapable d’abandonner sa singularité. Son école dispense une éducation stricte, non mixte, où elle étouffe dans la mise en concurrence avec les autres élèves. Harcelée chez elle et en classe, la jungle se présente comme un refuge pour Zaffan. La foisonnante forêt est omniprésente, à l’image mais surtout grâce à un excellent travail sonore : les hululements de la faune et le bruissement des feuilles habitent chaque scène. Terrain de jeu des enfants et de forces étranges aux yeux brillants, il y souffle un vent de liberté grâce auquel Zaffan revit. C’est dans ce cadre qu’elle embrasse l’étrangeté jusqu’à révéler sa vraie nature.
Ultime échappatoire
Dans la lignée de Carrie au bal du diable ou du court métrage Junior de Julia Ducournau, Tiger Stripes convoque le body horror alors que la mutation de l’adolescente progresse. Reflet de son intériorité qui dégénère, son corps à vif se boursoufle et s’animalise. Mais l’Horrible est par la même occasion dédiabolisé par sa fusion avec Zaffan, il récupère en miroir sa fraîcheur et sa spontanéité.
La brillante Zafreen Zairizal incarne avec fougue cette petite indomptable dont la colère gonfle jusqu’à l’explosion. Elle insuffle un grand dynamisme dans sa version embryonnaire de la figure de la femme diabolique qui peuple les histoires, du mythe de Méduse à Basic Instinct. Comme d’autres réalisatrices, Amanda Nell Eu se réapproprie cette figure à la liberté féroce. L’horreur se pare sans peur de burlesque, avec une apparence plastique « faite main », qui épouse l’esprit enfantin de ces protagonistes. Car c’est avec joie qu’il faut accueillir cette sauvagerie salvatrice, insurrectionnelle.
Léa Larosa