PARIS-STALINGRAD - Hind Meddeb et Thim Naccache

Paris ville d’exil 

23 novembre 2020, place de la République. L’association Utopia56 installe des tentes bleues au cœur de Paris pour y loger une centaine de migrants, laissés sans solution d’hébergement après le démantèlement d’un camp à Saint-Denis. La police intervient et la violence monte d’un cran : les tentes sont éventrées, tandis que les coups et les lacrymogènes fusent sur la place. Les images font le tour des médias, et parlent d’elles-mêmes : on répond à la misère par la matraque. Les migrants sont escortés toute la nuit jusqu’à Aubervilliers. Et ensuite ? Ensuite, l’indignation laisse place à nouveau au silence. C’est pourtant le 65ème démantèlement de camp à Paris.

En plein Paris, autour du métro Stalingrad, c’est le quotidien invisible de centaines de migrants. Durant l’été 2016, la réalisatrice Hind Meddeb et son co-réalisateur Thim Naccache, commencent à filmer le campement jusqu’à son démantèlement, et captent au fil des rencontres les témoignages des réfugiés. Paris-Stalingrad refuse toute passivité, et redonne aux migrants (essentiellement masculins) le pouvoir de leur histoire. 

Double fuite 

Le matin à l’aube, la caméra déambule dans les rues vides de la capitale. Dès son ouverture, Paris-Stalingrad reconstruit une autre géographie de la ville, moins flatteuse, et bascule du point de vue des migrants. Les lieux, pourtant familiers, sont redessinés à travers un regard utilitaire. Les bouches de métro sont des sources de chaleur, les fontaines à eau des bains à ciel ouvert. Chaque parcelle de la rue est investie dans une indifférence générale. La misère devient au mieux invisible, relayée au second plan d’un territoire majoritairement blanc, et au pire une nuisance au confort des plus aisés. 

C’est une guerre de territoire qui se joue en silence, orchestrée par l’Etat. Les longues files d’attente remplies d’espoir déforment les trottoirs, la faute à une administration qui peine à les prendre en charge. La police déloge quotidiennement les migrants, et leur confisque tentes et matelas tandis que la municipalité vient effacer les traces du campement. Hind Meddeb capture les profondes modifications du paysage à travers le temps, qui se parent d’une sinistre symbolique. Les aires de jeux grillagées remplacent le camp et la ville installe du mobilier anti-sdf, fabriquant ainsi de nouvelles frontières au sein même de la capitale. Paris terre d’asile ne veut pas de la misère sur son sol, et exile une nouvelle fois les migrants. 

Capturer le réel 

C’est caméra à l’épaule qu’Hind Meddeb et sa petite équipe suivent les migrants dans leur quotidien. La spontanéité du dispositif se heurte à la cinématographie plus léchée des paysages urbains, propices à l’introspection de Souleymane, rencontré sur le camp. Hind devient un personnage à part entière, à travers une voix invisible, mais n’endosse jamais le rôle de personnage principal. Sa présence au contraire permet le dialogue, et ouvre à un échange qui brise la distance déshumanisante avec laquelle on regarde habituellement les migrants. Car c’est bien l’humanité du récit qui fait la force de Paris-Stalingrad

Si l’Etat cherche à les dénuer de leurs droits, l’image elle, leur permet de reconquérir leur histoire. La proximité de la réalisatrice avec les migrants tant physique que linguistique noue une relation de confiance, propice aux témoignages. Que ce soit la fuite de la guerre, de la violence ou encore de la misère, les raisons de l’immigration sont nombreuses, et pourtant souvent négligées. De l’immense misère jaillit pourtant une fraternité et une bienveillance au sein d’une communauté de fortune, qui frappe par sa résilience. La poésie mélancolique de Souleymane ponctue le récit et se déploie dans une odyssée méditative et solitaire, qui interroge les illusions de l’immigration. 

Hind Meddeb refuse la distance qui prive ses intervenant‧es d’agentivité. La radicalité de son dispositif capture le réel, avec une authenticité que l’on peut difficilement maquiller. “Restez avec nous” lui crie un migrant dans la file d’attente de France Terre d’Asile. L’acte de filmer transcende le besoin d’informer et devient un geste politique dès lors que la caméra refuse de s’éteindre. La figure du journaliste perd soudain de son autorité lorsqu’elle met à jour les fissures du masque de la communication. L’équipe du film est à multiples moments brutalisée par les forces de l’ordre ou par l’administration car sa présence gêne, et montre une autre facette de la gestion de l’immigration. Ces scènes interrogent sur la nécessité des images comme témoignage, particulièrement à l’heure de la loi Sécurité Globale. Entraver l’image, c’est entraver la démocratie. 

Paris-Stalingrad redessine la vie de quartier parisien dans son architecture et dans sa solidarité. Les associations et certain‧es habitant‧es pallient aux manquements de l’Etat, avec des moyens rudimentaires. Alors même que la situation des migrants est de plus en plus préoccupante en France, Hind Meddeb et Thim Naccache livrent un documentaire radical, qui redonne une place centrale aux récits des exilés et questionne la place des libertés fondamentales dans la patrie des droits de l’Homme. 


Réalisé par Hind Meddeb et co-réalisé par Thim Naccache

Avec Souleymane Mohamad, Valérie Osouf, Agathe Nadimi, Lami T. Nagawo,

Adam Misscall, Galaxy Mohammad et Johan Corceron Paris, été 2016. Des hommes et des femmes arrivent du Soudan, d’Ethiopie, d’Erythrée, de Somalie, de Guinée, du Nigéria, d’Afghanistan, d’Iran, du Pakistan, avec l’espoir d’échapper à la guerre et aux conflits ethniques qui déchirent leurs pays. À leur arrivée ils n’ont pas d’autre choix que de dormir à la rue. Ils se regroupent sur des campements de fortune autour du métro Stalingrad.

En salles physiques et virtuelles le 26 mai 2021

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