Cannes 2023 : Portrait - Irène Dresel, compositrice de musique de films

Copyright Paul-Henri Pesquet

À l’occasion de la 76e édition du Festival de Cannes, la SACEM a mis à l’honneur les compositrices et compositeurs de musique de film, à travers une série de rencontres et d’événements. Au programme, une leçon de musique par Howard Shore, des live, ou encore une table ronde des compositrices organisée avec le collectif 50/50.

À cette occasion, Sorociné a rencontré la musicienne Irène Dresel, qui recevait en février 2023 le César de la meilleure musique de son, attribué pour la première fois à une compositrice. Le long-métrage d’Éric Gravel pour lequel elle recevait cette récompense, le marathon À plein temps, décrivait sur une semaine le quotidien essoufflé d’une mère célibataire bloquée par la grève des transports. « Ça fait quarante-huit ans que les César du cinéma existent, depuis ces longues années cinq femmes ont précédemment été nommées, mais jamais aucune d’entre elles n’a été récompensée. Ce César, je le dédie à toutes les femmes compositrices de musique à l’image », disait-elle à la remise de son prix. Car si les métiers autour de la musique à l’image regagnent en valorisation depuis quelques années, les femmes restent encore sous-valorisées dans ces corps de métiers – un sujet que nous abordions déjà l’année dernière à la précédente édition du festival, avec Florencia Di Concilio, compositrice notamment pour Léa Mysius ou Annie Ernaux.

Pour Irène Dresel, la musique ne s’est pas tout d’abord présentée comme une évidence. « J’étais dans les arts visuels, aux Beaux-Arts de Paris et aux Gobelins. J’étais censée avoir une carrière d’artiste plasticienne, c’était mon but dans la vie. À la suite de mon diplôme, j’ai présenté une exposition, pour laquelle j’avais besoin de faire la musique d’une vidéo que j’avais créée. Je me suis dit que je pourrais la faire moi-même, et de fil en aiguille, j’ai commencé à composer de la musique techno, parce que c’était ça que j’aimais. » À plein temps est le premier film sur lequel elle travaille comme compositrice, démarchée par la production une fois le film déjà monté. « Éric (Gravel) écoutait déjà ma musique, et j’avais déjà travaillé avec Novo Prod (la boîte de production) sur des publicités web. J’ai reçu le scénario, et j’ai vu le film qui était monté sans musique – mais il fonctionnait déjà très bien sans, le montage est très fort. »

Pour rythmer le scénario conçu comme une course constante contre la montre – attraper le seul train de banlieue, trouver les métros qui circulent, courir pour arriver à l’heure – la musique bat, telle une horloge trop rapide, et accompagne la chorégraphie millimétrée du quotidien de Julie, incarnée par Laure Calamy. « J’ai dû répondre à des exigences très précises du réalisateur, qui savait sur quelles scènes il voulait de la musique. Il avait un fichier Excel avec le nom des scènes, les périodes de musique. Je me suis attardée sur une scène qui me plaisait, j’ai fait une quinzaine de propositions sur lesquelles il en a retenu trois ou quatre. On a ensuite trouvé la couleur qu’on allait donner au film, il a parfois sélectionné certaines propositions pour les mettre sur d’autres scènes. Au fur et à mesure, le film s’est construit comme ça. » Cette composition « sur mesure » s’est donc faite en collaboration directe avec le réalisateur et la monteuse Mathilde Van de Moortel (par ailleurs également récompensée par le César du meilleur montage, et que nous avions pu rencontrer pour le premier numéro de notre revue papier). « Le film était déjà monté, je composais la musique sur l’image et je renvoyais la scène avec la musique. Lui et la monteuse voyaient la scène, et décidaient tous les deux de l’arrangement entre la musique et la scène. »

Pour ce travail, elle est donc la première compositrice à recevoir le César de la meilleure musique, une récompense forte de sens dans un contexte de revendications pour une prise en compte de la parité dans l’industrie cinématographique. « Éric tenait à ce que ce soit une femme qui compose la musique. Au moment où j’ai travaillé sur la composition de la musique, je ne m’étais pas posé cette question, mais c’est au moment de ma nomination aux César qu’on s’est rendu compte avec la boîte de production que si je remportais le prix, je serais la première femme dans ce cas de figure. »

Elle prépare actuellement son troisième album solo, mais ne s’oppose pas à l’idée de continuer à travailler sur des films. « Tant que je peux faire les deux, je le ferai. On verra de quoi est fait demain ! La musique à l’image, ça m’a plu, mais c’est difficile et c’est stressant, tout s’est passé sur deux mois. Après, il faut que l’histoire me plaise ; là c’était le cas, et le jeu de rôle de Laure Calamy était incroyable ; faire de la musique sur un jeu aussi parfait, c’était un bonheur ! Mais je n’irai pas faire de la musique sur n’importe quel film. » Avec la monteuse Mathilde Van de Moortel, elles représentent deux postes récompensés où les femmes commencent peu à peu à être mises en lumière. Et qui, on l’espère, ouvriront la voie à d’autres.

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