RENCONTRE AVEC CAMILLE RAZAT ET MÉLANIE ROBERT – « Nous vivons dans une société animée par la compétition »

Copyright Julien Panié - 2024 - JERICO FILMS - ONE WORLD FILMS-FRANCE 3 CINEMA - STUDIOCANAL - APOLLO FILMS

Il y a dans la vie de petits miracles. Alors qu’une maladie les empêchait de jouer, les jumelles Audrey et Diane Pleynet sont parvenues à inventer une technique pour poursuivre leur carrière de pianistes en duo. Cette histoire de reconstruction et de sororité a inspiré aux réalisateurs Valentin et Frédéric Potier leur nouveau film Prodigieuses. Les actrices principales, Camille Razat et Mélanie Robert, racontent la préparation de leurs rôles, en complétant chacune les réponses de l’autre à la manière des jumelles qu’elles incarnent. Interview croisée.

Qu’est-ce qui vous a attirées en premier dans cette histoire ?

Camille Razat :  Le scénario est extrêmement bien écrit. Quand je l’ai reçu, je l’ai lu d’une traite. Le fait qu’il s’agisse d’une histoire vraie force le respect et l’admiration. À partir de là, avoir un tel rôle à jouer est formidable pour une actrice, car il permet d’expérimenter une large palette de jeu.

Mélanie Robert : Cette histoire est très belle, car elle s’articule toujours autour de duos : les sœurs Pleynet ; Camille et moi, qui sommes amies depuis longtemps ; et enfin, les réalisateurs qui sont père et fils. De plus, ces deux femmes, Audrey et Diane, sont extraordinaires car elles se battent encore aujourd’hui pour continuer à jouer. Comme l’a dit Camille, en tant qu’actrice, quand on reçoit un tel rôle, on ne peut que mesurer notre chance.

Vous avez pu échanger avec les sœurs Pleynet avant le tournage. Comment s’est passée votre rencontre ?

C.R. : C’était incroyable. Nous les avons rencontrées environ trois semaines avant le début du tournage, donc le travail était déjà bien amorcé de notre côté. Elles ont été très généreuses. Elles nous ont livrées leurs expériences de vie, leurs anecdotes, parfois très personnelles, très intimes. On pouvait voir la manière dont l’une commençait une phrase et l’autre la terminait, le fait qu’elles soient toujours habillées pareil mais de couleurs différentes – ce que nous avons reproduit dans le film. On voyait aussi les différences : l’une est très clairement plus à l’aise que l’autre en public. Directement, nous nous sommes dit que le travail que nous avions fait pour les représenter était plutôt fidèle.

M.R. : Nous étions très émues, Camille et moi, même si nous nous étions dit que trois semaines avant le début du tournage, c’était tout de même un peu tard. Nous aurions aimé pouvoir nous imprégner de leurs personnalités avant. Mais en réalité, l’effet a été inverse. Quand elles nous ont vues, elles ont aussi été très touchées par cette ressemblance que nous avions commencé à construire. C’était un peu magique pour elles. Plus tard, après la projection du film, Diane a confié à Valentin et Frédéric qu’elle avait été impressionnée par notre manière de jouer, de retranscrire des moments et des émotions qu’elles n’avaient pas décrits dans les notes qu’elles avaient confiées aux réalisateurs. 

Avec ces deux sœurs qui s’entraident pour poursuivre leurs rêves, le film se mue en une ode à la sororité. Comment avez-vous travaillé cette proximité entre les jumelles et qu’est-ce que cela représente pour vous ?

C.R. : Nous vivons dans une société animée par la compétition, où il faut toujours être le meilleur, aller vite et mettre de côté la différence. Heureusement, le film va contre cette pensée. Dans Prodigieuses, même si une jumelle prend la place de l’autre [notamment quand l’une d’elle est choisie à la place de sa sœur pour devenir la soliste d’un concert de fin d’année, ndlr], elles s’entraident toujours. Après, quand l’une apprend sa maladie, l’autre est là pour l’aider et réciproquement. Audrey et Diane [renommée Claire et Jeanne Vallois dans Prodigieuses, ndlr] décident de ne pas abandonner et de rester ensemble. Sincèrement, si le film racontait le destin d’une femme seule qui lutte contre l’adversité, cela n’aurait pas marché, cela n’aurait pas mis en avant une dimension à laquelle nous tenons et qui est évidemment celle du groupe, de la famille et de la sororité.

M.R. : En travaillant le film, je ne me suis pas beaucoup posé de question sur le côté « gémellité, symbiose, fusion » qui pourtant transparaît dans le film. Avec Camille, nous sommes amies depuis onze ans, alors il n’y avait pas d’artifice entre nous ou quoi que ce soit à apprendre l’une de l’autre. Pour les réalisateurs, cela a été un gain de temps considérable. Grâce à cela, nous avons pu nous concentrer sur l’exercice le plus difficile, à savoir le piano…

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Justement, on vous voit souvent jouer durant le film, que ce soit en solo, ou en duo quand vous imitez la technique des sœurs Pleynet qui consiste à jouer en parfaite harmonie tout en se partageant chaque note du morceau. Comment s’est passée cette préparation ?

M.R. : Pendant huit mois, nous avons été suivies par une coach extraordinaire. Nous avons commencé par apprendre la posture à adopter derrière un piano, à faire de l'« air-piano » pour s’approprier des mouvements. Puis, nous avons travaillé des morceaux qui sont récurrents dans le film comme du Beethoven ou « Je m’voyais déjà » de Charles Aznavour. Enfin, nous nous sommes attaquées à la technique spéciale des sœurs Pleynet. Notre coach n’arrêtait pas de se demander « Mais comment est-ce possible de jouer comme ça ? » Il a fallu tout déconstruire, notre manière de bouger les mains, de nous placer. Et je dois bien dire qu’à cet exercice, Camille était meilleure que moi.

Dans le film, les sœurs sont constamment poussées à la réussite par leurs parents, spécifiquement par leur père, un ancien champion d’apnée interprété par Franck Dubosc. Comment avez-vous perçu ces dynamiques intrafamiliales complexes ?

C.R. : Le père était promis à une grande carrière sportive, mais il s’est blessé. Alors, il répercute son ambition sur ses filles. Le scénario est très bien ficelé, car il s’agit toujours d’une histoire de miroir : comment les deux sœurs se voient et s’entraident, comment le père les voie et les dirige. Le père devient vraiment oppressant, à la limite de la tyrannie pour atteindre son but.

M.R. : Le rôle de Serge est complexe, car il veut le meilleur pour ses enfants, mais il est maladroit. Puis nous avons la mère [campée par Isabelle Carré, ndlr] qui est coincée entre les deux : elle veut le meilleur pour ses enfants, mais elle doit aussi tenir tête au père quand il va trop loin. Sauf que l’intérêt du scénario n’est pas d’appuyer sur ces dynamiques d’opposition, de savoir qui a raison ou tort. Finalement, il ne faut en vouloir à personne, car chacun fait de son mieux. Tous les rôles sont beaux à leur manière, et aucun n’est laissé de côté.

En quoi ces rôles diffèrent-ils de ceux que vous avez déjà joués ? Quelles opportunités représentent-ils dans votre jeune carrière ?

M.R. : C’est mon premier grand rôle [Mélanie Robert a déjà fait plusieurs apparitions, notamment dans le téléfilm Dans l’ombre des dunes en 2022 ou la série Bellefond en 2024, ndlr]. Alors je suis comme une enfant surexcitée. C’est une chance d’avoir accès à un si beau rôle avec ce casting incroyable. Parfois, les planètes s’alignent, et ce fut le cas pour moi il y a cinq ans quand j’ai été choisie pour ce film, pour jouer avec ma meilleure copine en plus ! On peut se demander parfois : « Est-ce que ce rôle est trop éloigné de moi ? » C’est mon cas avec Jeanne Vallois. Elle est assez timide, réservée, ce que je ne suis pas. Justement cela me plaisait d’apprivoiser quelqu’un aux antipodes de ma personnalité et d’en faire quelque chose de joli.

C.R. : La plupart du temps, les gens me connaissent grâce à la série Emily In Paris [dans cette série Netflix à succès l’actrice interprète depuis la saison 1, le personnage de Camille, une amie puis ennemie d’Emily, ndlr]. D’une certaine manière, Emily est à la fois une bénédiction et une malédiction. C’est très facile d’enfermer des acteurs dans un type de rôle, un type de film. Quand j’ai lu le scénario de Prodigieuses, cela m’a fait du bien de voir quelque chose de vraiment différent d’Emily. Le but d’être comédienne, c’est d’incarner des rôles divers. Si je devais jouer la même vie en boucle, je me contenterais de vivre la mienne. Le rôle de Claire Vallois est immense car il défend des valeurs en lesquelles je crois, comme la famille, l’entraide. De plus, ce personnage existe dans un film grand public. C’est vrai, nous l’avons vu lors des avant-premières, nous avons un public de 7 à 85 ans, ce qui est une chance. Faire un film populaire sans que ce soit une comédie, c’est très difficile, et c’est pour cela que je suis fière de ce film.

Propos recueillis par Enora Abry

Prodigieuses

De Frédéric et Valentin Potier

Ecrit par Frédéric et Valentin Potier

Avec Camille Razat, Mélanie Robert, Franck Dubosc

Claire et Jeanne, jumelles pianistes virtuoses, sont admises dans une prestigieuse université de musique dirigée par l’intraitable professeur Klaus Lenhardt. Elles portent ainsi l’ambition de leur père qui a tout sacrifié pour faire d'elles les meilleures. Mais, une maladie orpheline, fragilise peu à peu leurs mains, et compromet brusquement leur ascension. Refusant de renoncer à leur rêve, elles vont devoir se battre et se réinventer pour devenir, plus que jamais, prodigieuses.

En salles le 20 novembre 2024.

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